Dossier : « Elsa »

« De ELMO sur papier à elsa sur le web »

Collectif AFL

Avant de présenter les évolutions que propose la nouvelle version d’elsa, il importe de resituer celle-ci dans la démarche de l’AFL en matière de perfectionnement technique du recours à l’écrit.

Le logiciel ELMO a été produit à l’INRP [1] en 1980 en tant qu’outil pédagogique expérimental recherchant, en milieu scolaire, à faire franchir un degré supplémentaire dans la maîtrise des gestes techniques d’un lecteur. A cette époque, on visait dans l’introduction de l’informatique à l’école plutôt l’occasion d’enseigner des langages nouveaux [2] auxquels elle donnait accès que d’explorer des démarches pédagogiques nouvelles. Matière à enseigner ou outil pour enseigner ? C’est cette seconde option qu’a choisi d’emprunter un petit groupe de chercheurs [3] : produire un objet nouveau s’inspirant de la démarche d’un fichier existant déjà sur papier. Pour l’anecdote, en juin 1981, ses auteurs proposèrent ce logiciel au ministre nouveau de l’Education afin d’en doter les écoles et les collèges désireux de faire de leurs élèves de meilleurs lecteurs. Il leur fut répondu que la gratuité d’outils émanant d’une recherche publique risquait d’alimenter quelques craintes suscitées dans certaines maisons d’édition par de récentes envolées électorales ! Et conseillé de recourir à une association 1901 (sans but lucratif) afin de diffuser ces matériels sur le marché et disposer en retour des moyens de poursuivre des recherches pédagogiques. D’où l’AFL...

L’hypothèse de base d’un entraînement avec ELMO reposait sur l’association de deux moments sensiblement d’égale durée :
♦ 1. sur l’ordinateur, une progression individualisée au minimum d’une douzaine de plans constitués chacun de 7 familles d’exercices de nature différente. La durée moyenne de chaque exercice ne dépassant jamais 30 minutes, un plan devait pouvoir être achevé en 3 heures environ.
♦ 2. en groupe-classe, deux séquences collectives par plan, d’environ 1 heure chacune : l’une reprenant quelques moments topiques du déroulement des exercices et recourant à l’enregistrement de leur historique pour analyser en petits groupes les stratégies utilisées afin d’alimenter la distanciation et le retour réflexif nécessaires à leur intégration dans le quotidien ; l’autre assurant le réinvestissement de ces compétences dans des rencontres fonctionnelles de textes (presse, documentaires, littérature) opportunément prises en charge par des enseignants, des bibliothécaires ou d’autres professionnels dans la BCD naissante, le CDI, la médiathèque, la librairie de quartier, la bibliothèque d’un comité d’entreprise ou d’une association spécialisée... Déscolariser la lecture !

Comme toute autre démarche pédagogique, un tel entraînement de quarante à cinquante heures réparties sur 4 à 5 mois requérait la présence d’un adulte compétent. Les séquences informatiques avaient lieu, selon les configurations d’établissement, soit dans une salle spécialisée regroupant les ordinateurs (et accueillant le plus souvent des demi-classes), soit, dans un souci de plus grande autonomie, sur des ordinateurs dispersés et librement accessibles pour mener les activités individuelles nécessaires à la réalisation des projets de vie d’un groupe ; y compris celui de progresser en lecture... L’investissement matériel dans une telle action [4] a pu être estimé aux environs de 3 heures d’enseignant par élève, coût à comparer à celui des interventions de psychologues, rééducateurs, orthophonistes, enseignants spécialisés, soutiens divers se proposant d’atteindre le même objectif.

Dans les années 80, plusieurs raisons ont convergé pour faciliter l’intégration du logiciel ELMO dans le quotidien de beaucoup d’établissements : une volonté économique et politique de diffuser l’usage de l’informatique ; suite aux Trente glorieuses, un élan militant faisant se rejoindre des actions impulsées dans le corps social par les mouvements d’éducation populaire et dans l’école par les mouvements d’éducation nouvelle ; une conscience accrue des difficultés en lecture chez une forte majorité d’élèves, une fois franchies les premières années d’alphabétisation...

En 1996, ELSA succède à ELMO afin de tirer parti des progrès informatiques et de profiter de leur ouverture et de leur souplesse, pour diversifier les scénarios des exercices et enrichir leurs bibliothèques de textes. Pour autant, le contexte pédagogique du recours à ce matériel va rapidement se modifier. A vrai dire, se dégrader eu égard aux hypothèses initiales. La fragilisation va essentiellement porter sur la réalité du lien entre entraînement technique individuel (bien pris en charge par le support informatique) et temps de retour réflexif assuré par divers formateurs et reposant sur du travail en équipe.

Dans une ambiance de plus en plus dubitative, les moyens vont se replier sur un enseignement disciplinaire dans des classes juxtaposées, au détriment des recherches relatives à l’organisation et à la pédagogie générales des établissements. Loin d’être devenues l’affaire de tous, les technologies de l’intellect [5] — sur quoi repose toute formation générale — relèveront d’un engagement personnel qu’amenuisera toujours davantage la restriction des moyens de fonctionnement des établissements et de formation des personnels. Certes, au fil des années, des enseignants continueront de permettre l’accès individuel [6] au logiciel mais ce qui va rapidement se réduire, notamment au collège, ce sont ces temps de mise en commun, d’analyse et de réinvestissement qui seuls permettent à un entraînement de déboucher sur une expertise durable plutôt que de rester l’instant vite oublié d’un dressage mécanique...

Dans le même temps — fulgurante évolution —, l’équipement en ordinateurs et tablettes des particuliers, chez eux comme sur leur lieu de travail et de vie publique, s’est considérablement accru et, bien davantage encore, le niveau d’autonomie et de vélocité de leurs possesseurs. Désormais, se perfectionner en lecture sur internet pourrait être aussi aisé que d’y jouer ou d’y chercher et échanger de l’information. Qu’il s’agisse de l’emploi d’ATEL, d’ELMO ou d’ELSA pour enrichir le savoir-lire, l’AFL a toujours pu vérifier la complémentarité nécessaire de ces deux moments que sont, d’une part, le temps individuel de l’exercice et, d’autre part, le moment collectif d’analyse de ce qu’il s’y est vécu. Et, a contrario, la déperdition d’impact dès que le second vient à faire défaut ! De ce fait, l’inévitable délocalisation de certains usages scolaires de l’informatique, passant de l’institution (où ils profitaient à la fois du support matériel et de l’accompagnement pédagogique) vers des équipements personnels accessibles à volonté, pourra se révéler une bonne ou une mauvaise chose !

Bonne si, cet entraînement technique étant pris efficacement en charge dans un contexte personnel, les écoles et collèges allaient retrouver du temps pour, avec des lecteurs plus véloces, exercer en situation un usage subtil de la chose écrite. Mauvaise si, le logiciel individuel se contentant « d’exerciser » du geste technique, la bataille pour la lecture allait perdre l’apport des derniers lieux institutionnels où il pouvait encore se passer quelque chose.

En clair, l’efficacité d’un logiciel pour perfectionner les compétences techniques d’un lecteur repose sur la capacité de ses auteurs d’y avoir intégré les moments de « classe » dévolus jusqu’ici à l’écoute de pédagogues attentifs. Mais restons modestes : si principes, intentions et séquences remplissent déjà de nombreuses pistes dans ce nouvel elsa, la plus décisive sera apportée par ses utilisateurs prenant conscience, à travers leur propres progrès, de l’enjeu pour la collectivité de relations à l’écrit plus intenses et plus libres.

Plus que jamais, l’AFL se veut un lieu engagé de Recherche-Action.

Aidez-la ! Aidons-nous...

La version 1.0 du nouvel elsa La version 1.0, accessible à la fin novembre 2015, donne volontairement accès à seulement 4 séries d’exercices sur les 7 qui constituent l’ancien ELSA. Il s’agit des séries dites « à texte ». Il nous intéresse en effet de pouvoir, dans un premier temps, observer le comportement des utilisateurs dans des situations reposant essentiellement sur ce qu’on a coutume de nommer la compréhension et qui portent donc nécessairement sur un objet écrit ayant une unité, une intention et exigeant des stratégies exploratoires globales. Comment ces stratégies évoluent-elles et comment interfèrent-elles en dehors des 3 autres séries plus directement perceptives ?

Au cours du mois de mars 2016, celles-ci seront alors introduites à l’intérieur de la progression des 10 plans constituant l’entraînement complet. Dans tous les cas, tout stagiaire aura à terme pu bénéficier des 10 plans comprenant chacun les 7 séries d’exercices. La seule variation « expérimentale » porte donc sur la simultanéité ou la succession des 2 grandes familles d’exercices.

Voici ces séries « à texte » : T, D, E et F.

« De ELMO sur papier à elsa sur le web »

[1INRP : Institut National de Recherche et de Documentation Pédagogique.

[2Par exemple, la programmation avec logo de tortues sur des MO6 ou des TO7.

[3François-Marie Blondel, Jean Foucambert, Jean-Claude Le Touzé et Michel Violet prenant appui sur le fichier ATEL développé par des enseignants bretons dans les années 70.

[4dont les effets sont connus, ne serait-ce que par une évaluation (remise à sa demande au Ministère de l’Éducation) qui montrait que son utilisation méthodique pendant 4 mois avait permis d’accroître, en 2010, de 16% la performance moyenne de l’échantillon ; ce qui, projeté sur la population scolaire, aurait fait, aux épreuves PISA, passer la France devant le pays champion du monde cette année-là !

[5cf. Jack Goody : La Raison graphique (1977).

[6On peut en estimer le nombre entre 200 et 250 000 chaque année sur les 50 000 ordinateurs qui ont été équipés d’ELSA depuis 1996...