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« L’été des déconfitures ? »

Yvanne CHENOUF, avec la collaboration de Dado BARADJI, Marie DIAZ & Lisa MINDZiÉ

Les grèves de transports (fin 2019) et le confinement (printemps 2020) ont contrarié le déroulement de l’action « Des athlètes dans leur tête » qui avait déjà des difficultés à se développer. L’irrégularité des rencontres a nui à l’entraînement sur elsa, l’observatoire des livres sur le sport a été épisodique, sans lien avec le milieu sportif réduit à une vidéo sur le champion du monde de boxe, Mohamed Diaby, auteur d’une phrase que nous aurions aimé discuter avec les collégiens : « Quand je lis, je m’enrichis et ça enrichit les autres. » Nous avons donc décidé de poursuivre nos interventions sur la période estivale afin de garder un lien avec les adolescents et leur encadrement et maintenir vivante l’idée d’une action commune.

Nous avons rallié deux dispositifs : une semaine au collège (vacances apprenantes) et quatre mercredis dans les maisons des jeunes. La rupture avec le rythme scolaire a permis de regarder autrement notre mode d’intervention avec la possibilité, peut-être, de le rectifier.

Au collège

« Rester un être humain, c’est jeter, s’il le faut, joyeusement, sa vie entière, sur “la grande balance du destin”, mais en même temps se réjouir de chaque belle journée de soleil », écrivait Rosa Luxemburg. Autrement dit s’accrocher au plus petit progrès et garder le moral coûte que coûte. On a déjà évoqué tous les obstacles matériels à franchir pour arriver à se faire la moindre petite place dans un collège. Suite à un malentendu avec la CPE (une alliée indéfectible pourtant), nous avons raté la première journée sur quatre. Le deuxième jour nous avons eu un petit groupe de collégiens (3 garçons de 6e et 4 garçons de5e) auquel nous avons juste eu le temps de présenter l’acte lexique et la plateforme elsa (3 séries). Comme toujours, la rencontre s’est bien passée, elle a déstabilisé des représentations et fait naître de l’intérêt mais, à peine ouverte, la parenthèse s’est refermée : nous n’avons pas revu ces jeunes. Pour le troisième et le quatrième jour on nous avait annoncé deux groupes fixes, un le matin, un l’après-midi, une dizaine de participants chaque fois. Dans la valse des emplois du temps, les groupes ont bougé, des « trous » ont été bouchés et certains collégiens, qui avaient choisi « photographie » ou « jardinage », se sont retrouvés dans le groupe « lecture », parfois pour la deuxième fois en deux jours. En rangeant l’important matériel nécessaire à l’animation de trois heures de lectures et d’écritures on se promet de ne plus accepter de « groupe lecture » mais de contribuer, par la lecture et l’écriture, aux ateliers qui en sont démunis. Quels livres pour photographier ou jardiner, quelles productions d’écrits, pourquoi, pour qui ?

Un des groupes, assez homogène, composé de bons lecteurs (4 filles, 2 garçons, 2 de 6e 4 de 5e),a été particulièrement intéressé par cet autre regard sur la lecture. A l’aise avec la plateforme elsa, ils ont cependant trouvé les exercices trop longs, parfois compliqués et ont contesté les choix pédagogiques (« on devrait aller du plus facile au plus difficile », « on devrait pouvoir gérer notre temps » convenant que « c’était tout de même ludique même si ça faisait mal à la tête » avant de se fendre, dans l’escalier, d’un « c’était bien quand même » pour nous réconforter). Ces adolescents auraient été prêts à aller plus loin, avec nous, dans une réflexion générale sur l’acte (l’art)de lire (« En fait », dit Fatima, « quand on regarde un texte, des lettres s’imposent devant nous et tout autour, le sens précise. », « Il faut regarder au bon endroit au début et la fin du mot. », « Non, au milieu, là où c’est net, et autour du mot, là où c’est flou. » dit Eva, « Dans le haut des mots » ajoute Fatima, « on voit le vrai mot »). Chemin faisant, ils posaient les bonnes questions (« Madame, on les trouve où les bons livres ? ») et testaient des moyens de progression (« C’est trop bien d’écrire comme ça en faisant des recherches chez les autres écrivains », etc. Seraient-ils prêts à rejoindre « des athlètes dans leur tête » ? « Être un athlète, disent-ils, c’est être trop fort, utiliser tout ce qu’on a dans la tête, être motivé, se montrer intelligent et ne pas se décourager. » Sommes-nous suffisamment athlètes dans notre tête, à l’AFL ? Avons-nous assez bien reconnu le parcours ? Sommes-nous partis trop vite (elsa, JO, observatoire des livres... tout ça en même temps) ? Sommes-nous suffisamment prêts à passer des relais à des éducateurs qui ont besoin d’être rassurés sur les modalités pratiques (nombre de séances, forme de restitution) tandis que nous répondons qu’on verra, que ça dépendra des événements, qu’on décidera ensemble. Nous demandons au collège de passer, d’un coup, d’une organisation divisée en disciplines à une mobilisation des forces au service des projets des élèves avec le CDI comme centre d’opérations stratégiques. Les professeurs le sentent bien qui nous opposent, à défaut d’une franche résistance, un repli poli.

Dans les Maisons des Jeunes

« La culture n’est pas à distribuer. Il faut la vivre ensemble pour la créer. » La chargée de mission, adjointe à la coordination des équipements jeunesses d’Aubervilliers, nous avait proposé, fin juin, de nous insérer dans le programme des Maisons des Jeunes. Chaque mercredi, les enfants de quatre structures se retrouvaient autour d’activités récurrentes parmi lesquelles des jeux de ballons, des jeux d’eau, du trampoline, de la danse, des fabrications de masques (carnavalesques et sanitaires). Dans cette profusion de divertissements, nous avions la possibilité de « faire passer nos idées » dans un « stand lecture » (montrer elsa ? informer sur le projet des Jeux Olympiques ?). Avec ingénuité ou négligence, nous avons cru pouvoir présenter l’acte lexique qui est riche en interactions. Le premier mercredi, nous disposions d’un immense écran à l’ombre... mais pas de câble. Nos chaises sont restées vides. La deuxième et la troisième fois nous sommes venues avec des jeux (lire pour jouer, coffret créé par Raymond et Rolande Millot dans les années 70) pour évoquer les questions d’identification de mots (memory), de-diversité d’écrits (sortes de réussite) etc. Après avoir épuisé les autres stands, quelques enfants se sont approché du nôtre, pour parler (pourquoi pas ?) de « prise d’indices », d’« anticipation », de genres d’écrits : tout éclaboussés d’eau, de rires et de soleil, ils appréciaient de s’assoir et voulaient surtout gagner ! Le dernier mercredi, nous avons changé notre fusil d’épaule : pour commencer à les « initier » au projet « Des athlètes dans leur tête », nous avons proposé à chaque enfant de présenter un sport de son choix en utilisant les ressources de l’écrit : la liste, le tableau, le schéma, le mot, le récit, le poème, le QR code... Sur une chemise cartonnée, ils ont disposé tout ce qu’ils pouvaient exposer d’un sport donné au moyen d’écrits différents et d’autres langages (dessin, photographie...). Sur le peu de temps disponible, les réalisations n’ont pas dépassé la collecte d’écrits le stade suivant étant de s’inspirer de cette collecte pour passer à l’écriture (articles, poèmes, récits...). Cet « atelier », qui demandait des manipulations, de la créativité a été rapidement saturé : pas assez de places pour les demandes.

Le premier mercredi, alors que nous étions désœuvrées, nous avons pu observer ce qui se passait là où des choses se passaient (boxe, cuisine, danse, jeux de ballons...) et nous sommes revenues, les mercredis suivants, avec des livres se rapportant à ces activités. Dans l’atelier « boxe » nous avons posé, dans les branches d’un cerisier, deux albums : Broutille et Champion. Nous les avons lus, entre deux rounds, et le principal intéressé fut le coach (un professionnel, pas un animateur) : surpris que de tels livres existent et encore plus surpris que ça intéresse autant les enfants, il nous a demandé une bibliographie que nous lui avons remise en lui conseillant de se rapprocher des bibliothèques municipales ou médiathèques. Dans l’atelier « cuisine », où cuisaient des confitures avec des fruits « gâtés » (productions vendues notamment à Monoprix), nous aurions pu apporter L’Arbre à confiture ou barbouille et Mauricette font de la confiture avec les fruits de la forêt y etc. Ce geste, d’accompagner ou de prolonger les activités par de la lecture, en variant les livres, n’est vraiment pas naturel et, pourtant, immédiatement plébiscité par les adultes comme par les enfants.

Notre participation aux animations de ces Maisons des Jeunes(où il y avait parfois 200 enfants)nous a permis d’approcher des responsables de structures, des animateurs, des chargés de mission de la ville, des enfants et des adolescents... C’est là que nos éventuels partenaires sont, là qu’ils travaillent, qu’ils déploient leurs talents, qu’ils expriment leurs besoins. Nous avons été plus convaincants en nous asseyant à leur table, en buvant un café, en parlant ensemble des enfants et des activités proposées qu’avec tous nos nombreux mailings. Par exemple, nous avons pu discuter du choix musical avec le DJ (présent chaque fois avec un important matériel) : pourquoi ne pas varier les musiques, faire écouter aux enfants autre chose que du rap ou de l’afrobeat qui assignent les enfants à un seul type de sonorités. Le dernier soir, la responsable pédagogique nous a écrit : « Un grand merci à vous toutes de contribuer à cette réussite. Vous faites réellement quelque chose de très fort en tout cas nous croyons en votre magnifique projet. Merci à toutes pour votre passion et votre investissement. Désolée, si parfois je ne prends pas assez de temps mais peut-être est-ce parce que je vois toute la qualité et l’approche mise en œuvre par vous toutes. » « Le peu de temps » que prennent nos partenaires n’est pas une négligence mais, au mieux, une marque de confiance, au pire, un signe d’impuissance tant notre discours (cohérent, fermé) ne leur laisse pas d’autre place. Nous apparaissons si « lettrés » qu’ils ne savent pas quoi faire de cette expertise dans leur domaine de loisirs. A nous de faire en sorte que la lecture « parte de la vie pour retourner à la vie », de montrer que l’écrit allège souvent la vie et parfois l’embellit en ne mettant pas l’entraînement avant les projets mais en appui. Dans « Les athlètes dans leur tête » ce qui fait briller les yeux des enfants et de leurs animateurs (presqu’autant que l’eau, la musique et la danse) c’est la possibilité de faire un journal, des émissions de radio, de rencontrer des athlètes, de les filmer, d’être, comme Tintin, « reporters ». Lors des JO, le monde va se donner rendez-vous tout près d’« ici » avec ses grandeurs et ses vanités, ses utopies et ses désillusions, ses langues, ses particularités physiques et culturelles. Pour tous ces adolescents qui, pour la plupart, se sentent déracinés, sans place et sans identité, quelle occasion de renouer avec l’humanité et de puiser, dans cette concentration de luttes pour la victoire, des forces pour dépasser les obstacles quotidiens en équipe.

Bibliographie
L’Arbre à confiture, Komako Sakaï, Mutsumi Ishii, L’école des loisirs,2015
Barbouille et Mauricette font de la confiture avec les fruits de la forêt, Laure Cadars, éd. Eponymes,2012
Broutille, Rémi Courgeon, Milan, 2012
Champion, Gilles Rapaport, Circonflexe,2005

Article
« Le sport dans la littérature de jeunesse : représentations, valeurs et discours »,
Marie Fradette : https://www.erudit.org/fr/revues/qf/2010-n157-qf1503646/61508ac/

« L’été des déconfitures ? »