Elsa

« La plateforme elsa et ses usagers »

Dominique VACHELARD et ses élèves

L’Association Française pour la Lecture diffuse, depuis fin 2016, une plateforme informatique, Elsa, permettant à tout individu de perfectionner ou d’entretenir son niveau de lecture (au moins 40 heures sur une période d’un an). Le prix, très modique, la souplesse d’utilisation (sur ordinateur ou tablette) génèrent, pour l’instant, un succès d’estime. Dans cet article, Dominique Vachelard passe en revue les principaux obstacles à une plus large diffusion en s’appuyant sur les témoignages d’élèves de cycle 3 et de collège : si les exercices autour de l’identification de mots sont gratifiants, ceux qui exigent d’entrer finement dans la structure d’un texte, son écriture, ses liens avec les autres textes demandent plus d’attention. Quand les résultats nationaux en lecture sont si bas, elsa propose un parcours ambitieux et des aides de haut niveau. Il ne reste plus qu’à convaincre les jeunes utilisateurs (et leurs éducateurs) que le jeu en vaut la chandelle.

Après 20 ans d’utilisation d’ELSA dont 12 avec des enfants de cycle 3 dans la même école, pour la première fois, cette année, les élèves ont dit « non » à elsa !
Les CM1 ont été les premiers à capituler, les CM2 ont rendu les armes très vite, eux aussi. Il nous incombe de nous questionner sur les raisons de ce refus à partir d’articles publiés dans le circuit-court [1] de la classe de cycle 3 à propos de l’entraînement sur la plateforme elsa, entrecoupés de commentaires d’élèves.

Au début, tout va bien...

« J’aime bien cette nouvelle version d’elsa. Mais il y a certaines séries qui sont beaucoup plus difficiles que les autres. Les séries D ou encore la E sont dures, mais sinon c’est vraiment très bien ! » Remarque récurrente en CM ou au collège, exprimée avec force adverbes : « C’est vraiment très difficile, c’est beaucoup trop dur ». Elsa comporte 6 séries (voir en encadré) et les trois incriminées (D, E, F) sont plus ardues par rapport à d’autres (plus propices, elles, à provoquer rapidement la réussite, à prendre conscience d’une évolution quantifiable). Lorsqu’ils découvrent elsa, les enfants sont généralement en situation de réussite. La première série T passée (le test), ils démarrent une série A où il s’agit d’identifier très rapidement des mots ou des groupes de mots. Après quelques erreurs, dues parfois à des problèmes de manipulation, le succès s’installe vite et la performance évolue de manière satisfaisante, autorisant tous les espoirs de progrès. La pédagogie traditionnelle de la lecture est bien loin de l’enseigner pour son caractère visuel (reconnaître rapidement des groupes de signes, différencier des silhouettes de mots très proches) mais les enfants ne manifestent aucun étonnement lorsqu’un logiciel leur propose ce type d’activité qu’ils réussissent plutôt bien. On constate, en passant, qu’il est plus facile d’identifier / discriminer des groupes de signes écrits que leurs équivalents dans l’oralité, notamment en raison des nombreuses redondances présentes à l’écrit (marques du pluriel par exemple). Certains enfants, attirés par la facilité des premières séries, sont d’autant plus déçus qu’ils imaginaient progresser aisément : « Mais, là, sur elsa, j’étais plutôt découragé. Surtout que je trouve que je ne suis pas encore assez fort en lecture et qu’avec elsa, je peux encore m’améliorer »

Après la série A, vient la série D...

Si certains élèves apprécient les contraintes de l’entraînement (« J’aime elsa, je trouve que c’est un bon logiciel. Il y a des exercices qui sont plutôt durs et d’autres moins, et c’est bien ! »), c’est souvent, à partir de la série D (puis, après, avec la E et la F) que d’autres se désinvestissent même si, comme le note un élève, ils savent que ces séries incriminées « apportent la compréhension des textes » (avec un degré de difficulté plus important pour la série D, la F étant catégorisée « plus facile »). Mais la classe a du mal à aller au-delà du constat, à comprendre qu’entraîner toutes les habiletés perceptives et stratégiques constitutives du comportement de lecture est un choix des concepteurs de la plateforme qui n’ont jamais pensé les séries comme équivalentes en contenu ou en difficulté. Le comportement de lecteur, qui fait appel à des capacités spécifiques concernant la langue, l’habileté visuelle, la faculté d’anticipation, de mémorisation, d’identification, etc., ne saurait en aucun cas se résumer à l’une de ces composantes, ni à la somme de celles-ci ! La lecture est ailleurs, elle consiste en l’aptitude à donner du sens à un écrit, autrement dit, à comprendre. Et si nous utilisons le terme de comportement c’est parce que c’est bien d’une manière d’être avec les écrits dont il s’agit. Quelque chose que les enfants pressentent lorsqu’ils décrivent un bon lecteur comme étant une personne « qui lit vite et bien, facilement et rapidement », « qui n’écorche pas les mots » mais aussi et surtout « qui comprend les textes, qui les lit correctement », « un pro de la lecture... qui comprend les séries ».

Comprendre les séries...

Lors de la fabrication d’elsa, il s’est agi de choisir, parmi les éléments constitutifs de la lecture, ceux qui étaient le plus intrinsèquement représentatifs de celle-ci, et de les entraîner dans un certain ordre. Même si l’exercice du comportement est systémique (pour éviter de dire global), on a dû arbitrairement décider de certaines priorités. Et on doit souligner l’importance accordée à l’alternance impérative entre l’entraînement portant sur des éléments inférieurs au texte (mots, groupes de mots, paragraphes) et celui portant sur le texte entier, considéré comme unité minimale de compréhension de l’écrit. Pour la première catégorie d’exercices, on ne peut pas parler véritablement de lecture ; tout au plus, l’utilisateur est conduit à prendre une décision lexicale ce qui ne minimise absolument pas la pertinence de l’entraînement en question puisque, lorsqu’il s’agit, par exemple, de rapidité d’identification par élargissement de l’empan de lecture, le bénéfice « local » est à porter au crédit du comportement global. En revanche, pour la deuxième catégorie de séries (D, E, F, T), on peut parler de comportement de lecture puisqu’il est fait appel à ce qui caractérise essentiellement le lecteur à l’œuvre : la capacité à s’appuyer sur ses connaissances et expériences pour anticiper le contenu du message à partir des éléments visuels (série E), à se fabriquer une représentation interne de la structure d’un texte, de ses éléments, de son déroulement, de sa logique (séries D et F). Vont alors surgir les obstacles qui empêchent la lecture d’atteindre son niveau maximal d’efficacité (lecture experte) : le manque de culture générale pour la compréhension des textes, en relation avec leur contenu spécifique ; le manque de culture écrite, c’est-à-dire la faible connaissance du monde de l’écrit, des supports, des auteurs, des genres, etc. ; la faiblesse de la culture linguistique (par exemple, difficulté à anticiper des constructions syntaxiques dont beaucoup sont très rarement utilisées à l’oral). Alors, devant l’impossibilité de réussir un exercice brusquement plus difficile et d’en comprendre les causes, « on n’aime plus elsa, on oublie de « faire son entraînement », on n’a pas le temps ! »

Le temps est à l’affaire...

Il convient de relativiser la portée des difficultés rencontrées par les élèves, eu égard au fait qu’ils sont en cours d’apprentissage de la langue écrite, un processus historique qui, d’une part ne s’interrompt jamais, et d’autre part qui accompagne le développement de l’individu tout au long de son évolution neurologique, notamment : la formation du cerveau est bien loin d’être terminée à l’âge où nous considérons les enfants dans les lignes ci-dessus. Ce manque d’accomplissement (en comparaison avec l’adulte) est d’ailleurs une caractéristique de l’enfance bien connue des spécialistes du développement. Certains auteurs en ont même fait mention dès la première moitié du 20ème siècle, notamment Aldous Huxley dans la préface de « Le Meilleur des mondes » où il explique que le lecteur doit disposer de certaines connaissances en commun avec l’écrivain pour comprendre ses écrits. Pour les enfants, l’idée qu’apprendre à lire se déroule sur du long temps n’appartient pas à leurs représentations. On leur a dit qu’ils sauraient lire à la fin du CP (soit un an après le début de l’apprentissage officiel), on décrète, un jour, qu’ils savent lire et, même si un enfant pense qu’elsa « peut aider même les personnes qui sont douées en lecture », beaucoup considèrent que l’apprentissage a une fin (« Je pense que je sais assez lire, je dois être un des meilleurs en lecture dans la classe ») et qu’une fois acquise, la lecture c’est comme le vélo, ça ne s’oublie pas : « L’orthographe et la lecture on peut les savoir à vie. » S’entraîner ne concernerait que ceux qui ont des difficultés généralement diagnostiquées en situation d’oralisation (« Je ne peux pas dire que je sais très bien lire. Un soir, ma maman m’a demandé de lui lire un livre et je n ’arrêtais pas d’écorcher les mots ! ») et qui regardent le logiciel comme une aubaine : « Je crois que je ne sais pas encore bien lire... Et je pense que l’entraînement sur elsa pourrait m’aider ».

Aide-toi, elsa t’aidera

Pour une enquête auprès des collégiens sur leur entraînement, une journaliste de La Montagne a eu le courage d’aller au bout de la logique de cette rencontre en s’inscrivant sur elsa. Si elle valide les impressions des enfants (« Certaines séries me plaisent de plus en plus, notamment celles où il faut repérer les groupes de mots qui apparaissent très rapidement sur l’écran. J’ai bien amélioré mes performances dans les exercices d’anticipation, où il s’agit, par exemple, de compléter la fin des phrases. D’autres séries me donnent du fil à retordre. C’est le cas de la fameuse série D dont le but est de percevoir l’unité d’un texte et d’en découvrir la construction. La série est censée favoriser simultanément les images mentales générées par le texte et un certain recul vers l’abstraction. » [2]), elle ne se décourage pas et termine ainsi son article : « Allez ! Je ferai mieux la prochaine fois ». Peu habitués à considérer l’échec comme une étape de l’apprentissage, les enfants se lassent et accusent la répétitivité de l’exercice (« J’ai arrêté de faire elsa car je commençais à trouver l’entraînement énervant ! Elsa proposait toujours les mêmes séries. », « Moi, parce que je trouvais ça fatigant car ce sont toujours les mêmes séries. »), les conditions matérielles (« Chaque fois que je voulais m’entraîner, les CM2 étaient déjà sur les ordinateurs ! C’est dommage. », « J’ai arrêté l’entraînement aussi parce que j’avais perdu mon code. » ou « Quand je suis allé m’entraîner, impossible de me connecter ; il était écrit « ce site est inexistant », alors que j’étais super motivé ! Ça m’a énervé et j’étais déçu. ») ou le manque de stimulation collective (« Beaucoup de mes camarades ont arrêté donc j’ai arrêté moi aussi. »). À travers ce qui peut apparaître comme une suite d’exemptions bien commodes, se dessinent les conditions, plus ou moins maîtrisées par chacun, de ce que c’est qu’un « bon entraînement ».

Une question de statut

Dans cette classe de CE2-CM1-CM2, la pédagogie est presque individualisée : gestion et planification des apprentissages par voie contractuelle, tutorat et assistance mutuelle, reconnaissance de la valeur des points de vue de chacun par leur publication dans le circuit-court, possibilité d’infléchir certaines pratiques de la classe, etc. Or, en ce début d’année scolaire, ce sont 30 élèves qui frappent à la porte et qui veulent une place pour s’asseoir ! Très difficile, dans ces conditions, d’installer l’entraînement sur la plateforme elsa même avec des conditions favorables : 19 CM1-CM2 s’entraînent sur 10 ordinateurs portables disponibles en classe (et peuvent poursuivre leur travail à la maison). Quand on a trouvé un poste libre, encore faut-il savoir gérer les obstacles techniques : bug, perte du code, etc. La relation des enfants face à la machine est un indicateur de leur état d’esprit : soit ils se découragent, vaincus par les objets, soit ils se positionnent en maîtres du jeu (« Quand l’informatique ne marche pas, soit on a tapé le mauvais code, soit il y a un bug. Mon truc, c’est d’éteindre, d’attendre et de rallumer. Sinon, c’est un virus et je ne sais pas comment faire ! Le mieux c’est de le dire au maître. Et changer simplement de PC ». Savoir devancer les problèmes pratiques (certains mémorisent leur code, d’autres le notent et le rangent dans une pochette), c’est prendre sa formation en charge, en être responsable (ne pas abandonner quand les autres abandonnent) : être autonome, c’est d’abord l’être sur le plan pratique. Ceci dit, des élèves très organisés, ne sont pas à l’abri d’échecs ; cet élève qui dit « Moi j’y arrive parce que je fais mes exercices de français à la maison. En arrivant à l’école, je fais l’autodictée ou la copie et ensuite il me reste tout le temps pour m’entraîner sur elsa. », obtient 27% de réussite au test avec une vitesse proche de l’oralité et des performances plutôt faibles aux séries portant sur la compréhension des textes (15% à la série D, 28% à la série E). C’est que ces séries demandent autre chose qu’une discipline stable et machinale : l’entrée incertaine dans l’analyse des résultats et des démarches, la recherche hasardeuse de solutions. Tout cela demande de la créativité et des remises en questions : une position inconfortable.

Ce n’est pas difficile, c’est complexe

Les enfants sentent que « la lecture, c’est super important parce que sinon on n’arriverait pas à communiquer » ; ça ne veut pas dire que c’est inatteignable même si certaines séries, déconcertantes, démoralisent. Il n’y a jamais eu de volonté de simplification du côté des concepteurs parce que la lecture est affaire de sens et que le sens est le produit de la complexité des multiples interactions qui la caractérisent. Ce même sens disparaît lors de toute tentative de prise en compte de combinaison d’éléments constitutifs inférieurs au texte (lettres, syllabes, mots). On ne lit pas des mots, mais du sens et les logiques propres à ces deux niveaux sont complètement différentes. Si Frank Smith parle, pour les distinguer, de structure superficielle (les mots) et de structure profonde du langage (le sens), nous devons admettre que cette distinction ne nous est pas d’un grand secours puisque nous ignorons tout, ou presque tout, de la grammaire générative (ou transformationnelle) qui permettrait de passer de l’une à l’autre de ces deux structures. Et ça, les enfants l’ignorent puisque tout, autour d’eux, les a persuadés du contraire, qu’on passait des mots à la phrase, de la phrase au paragraphe puis au texte. D’où la nécessité de les informer de la différence entre un entraînement et une pratique : pendant l’entraînement, on distingue et on exerce des comportements indissociables dans la pratique ; dans la pratique, on fait évoluer ces comportements, inconsciemment et indistinctement, au cœur de l’action (le projet). Autrement dit, on ne peut pas parler d’entraînement à la lecture sans parler de ses propres lectures : quand et pourquoi lit-on, où rencontre-t-on des difficultés, comment se rendre compte de ses progrès au jour le jour... tant ce sont les usages qui sont les réels points de référence de l’évaluation, pas les résultats aux séries.

Alerter les parents !

Avec elsa, les enfants peuvent travailler à l’école, à la bibliothèque mais aussi chez eux sur un ordinateur ou une tablette. Mais les parents se méfient encore du rapport des enfants à l’ordinateur : « A la maison, je n’ai pas trop le droit d’utiliser l’ordinateur », « Maman ne veut pas que j’utilise son ordinateur parce qu’elle a peur que je le casse » ou encore « Nos parents contrôlent notre usage pour voir si on ne va pas sur des sites qui ne sont pas pour les enfants ou si on ne fait pas les imbéciles ». Il faut donc parler avec les familles du rôle éducatif de cet outil (souvent limité aux jeux ou suspecté de rencontres virtuelles) et de son caractère irremplaçable : le logiciel garde la mémoire des résultats et des démarches (sur lesquels on peut revenir avec l’enfant) et adapte le niveau d’entraînement pour que celui-ci se déroule au-delà de ce que le lecteur sait faire de manière autonome, tout en demeurant en-deçà de ce qu’il peut réaliser avec l’aide d’un pair ou d’un adulte. Cette situation d’entraînement qui se situe dans la zone proximale de développement de l’utilisateur (Lev Vygotski [3]), absent de nombreuses situations de l’enseignement traditionnel, peut expliquer les difficultés rencontrées sur elsa par les enfants ou les adultes. Pour des raisons techniques de fabrication et de conception, les paramètres individuels sont adaptés continûment et l’entraînement sollicite alors une attention et une concentration toujours très soutenues parce qu’elsa se réactualise en permanence : chaque nouvelle série se situe toujours dans une zone qui impose une révision, une réorganisation, un dépassement des savoirs antérieurs. Cet effort de vigilance déconcerte les enfants qui réclament alors des pauses : « On peut s’arrêter un petit moment si on est trop fatigué ou si on n’y arrive pas ! », « Je pense que je peux arrêter un peu l’entraînement parce que la lecture, ce n ’est pas ce qu’il y a de plus important dans la vie ! », « Je crois que je ferai plutôt une pause et que je recommencerai ensuite parce que je pense qu’on peut arrêter elsa pour un truc important. Ce n’est pas très grave. »

Peut-on arrêter de s’entraîner ?

Pour certains enfants, « le truc important », c’est une activité scolaire concurrentielle (J’aimerais bien reprendre elsa, mais une fois par semaine parce que sinon j’ai peur de me retrouver en retard dans ma progression de maths) ou une activité de loisir comme le sport ou la musique. Au sport, ici le foot, « pas question d’arrêter l’entraînement : ça je ne le ferai jamais ! », « Moi, en sport, je ne dirai jamais : « Stop, là j’arrête parce que c’est trop dur ! ». En musique, on peut limiter ses activités par nécessité sans y renoncer (« Il n’y a pas si longtemps, j’ai arrêté l’orchestre — je ne joue plus que seul à la maison —, et c’est mieux ainsi parce que ça me faisait trop de choses. », « Je joue de l’alto, je m’entraîne deux fois par semaine mais je n’arrêterai pas cet entraînement, sauf si vraiment il me manquait du temps ! »). Mais, il manque à la lecture, « beaucoup plus dure », cette dimension « spectaculaire » (marquer un but, réussir un accord de guitare), ce sentiment d’avoir franchi une étape, d’avoir incorporé un geste, d’avoir gagné en reconnaissance, de soi et des autres. Sans ces « bénéfices » l’entraînement est une parenthèse dans la vie à laquelle on consent quand la situation y oblige (des horaires, un stage) mais qu’on oublie vite lorsqu’on est repris par la vie et que la lecture n’est pas dans cette vie. Ainsi, au collège de Saint-Brioude, qui s’est doté d’une centaine de licences et consacre une semaine pour introduire la plateforme autour de la lecture et de l’écrit en général (rencontre d’écrivains, animations en CDI, sorties culturelles, elsa, etc.), on note aussi des abandons. Il a suffi d’une rencontre avec une journaliste pour que les enfants disent leur plaisir de s’entraîner et voient leur vitesse de lecture augmenter (avec les mêmes problèmes qu’en élémentaire : des performances remarquables en identification des mots et une chute de celles-ci pour les séries portant sur la compréhension de textes entiers). Puis, de nouveaux abandons. Paradoxe ou impossibilité des enfants d’abstraire des comportements de l’élan vital ?

Faire mieux avec elsa

Comment faire de l’entraînement une activité volontaire et « incarnée » ? D’abord, faire découvrir la plateforme amplement avant de mettre les enfants sur l’entraînement (comprendre les séries) ; les laisser explorer, interroger, échanger, glisser leurs expériences et leurs mots dans cette histoire. Ensuite, insérer l’utilisation d’elsa au sein d’un projet plus global. On doit être convaincu que l’entraînement, seul, ne suffit pas ! Cette suggestion a toujours été présente de manière très explicite dans les projets des concepteurs de cet outil d’entraînement, mais souvent ignoré de ceux qui le mettent en œuvre : sa nécessaire intégration dans un module incluant entraînement-théorisation-réinvestissement. Le dernier de ces piliers (« la vraie lecture ») nous paraissant devoir être prioritaire parce qu’étant le seul à justifier la présence des deux autres. Il revient à se poser, de manière triviale, la question : « Lire, oui, mais pour faire quoi ? » Les enfants, s’ils sont volontaires pour faire des efforts, ne voient pas encore le lien entre les séries (faciles ou difficiles) et les bienfaits qu’ils en tireront dans leur rapport à l’écrit.

Ils cherchent alors à faire plaisir et leurs déclarations d’intentions, pour être touchantes, signalent qu’ils « n’y sont pas » : pas dans leur axe, pas en accord avec eux (« J’ai bien réfléchi et je crois que j’ai envie de réattaquer elsa, une fois par semaine. Je crois que je vais retrouver un peu de courage pour refaire elsa, ça va m’apprendre plus de mots, à lire plus vite et ça va m’aider aussi pour le français. Je pense que je comprendrai mieux. », « C’est vrai que j’en avais un peu marre, mais je crois que je vais réattaquer au moins une fois par semaine, et deux fois si j’ai le temps de faire tout ce que je veux. »). Ces discours de bon aloi, pour être sincères, ne trompent pas sur le fait que, pour l’instant, l’entraînement sur elsa s’ajoute à leur vie, il ne la facilite pas forcément (ou pas consciemment). Pourtant, on sent une amélioration dans les séries fondées sur l’anticipation (série E), celles qui font intervenir la culture générale, la culture écrite, l’expérience. Les projets qui incluent de l’écrit jouent bien leur rôle d’acculturation. Il reste à articuler la lecture fréquente d’écrits variés pour des besoins réels à la réflexion sur leurs fonctions sociales, leurs ressemblances, leurs différenciations, leurs possibilités d’imitation, etc. C’est pour faciliter, amplifier les usages ordinaires avec l’écrit que l’entraînement apparaîtra d’abord comme une aide conjoncturelle, ensuite comme un grand reportage sur son propre fonctionnement intellectuel et la puissance des esprits quand ils se rendent compte de leurs démarches... Mais déjà, un enfant résume ce que cet article a tenté d’explorer : « Beaucoup de CM2 ont arrêté, donc j’ai suivi, j’ai aussi arrêté parce que j’avais perdu mon code ! je fais aussi du foot, et vous avez raison : je n’ai jamais dit « Stop ! C’est trop dur ! ». Donc, je vais recommencer elsa, surtout si les autres reprennent ». L’effort n’est acceptable que si l’entraînement est, lui aussi, une pratique sociale.

« La plateforme elsa et ses usagers »

[1Le journal en circuit-court permet aux enfants de s’exprimer sur les activités de la classe et d’agir, dans une certaine limite, sur les contenus et formes des activités scolaires.

[2Pomme Labrousse, La Montagne Centre-France, 12 déc. 2016

[3Pensée et langage, La Dispute, 1996