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« Sociologie de la lecture »
Jean-Yves SÉRADIN
SOCIOLOGIE DE LA LECTURE, CLAUDE POISSENOT, ARMAND COLIN, 2019
L’auteur, sociologue à l’IUT Nancy-Charlemagne, propose un condensé ce que nous apprend la sociologie de la lecture sur l’évolution des pratiques durant les trente dernières années.
« Plus que jamais la lecture apparaît comme une notion complexe parce qu’elle se décline de multiples façons, sur des supports de plus en plus variés et remplit des fonctions extrêmement différentes. Lui donner du sens demande une ouverture théorique », écrit-il à la fin de sa conclusion (p.173). Cela nous semble indispensable.
II écrit dans le premier chapitre ne pas vouloir « figer une définition de la lecture pour toujours » (p.15) indiquant que « “la lecture” est une catégorie qu’il convient de déconstruire afin de rompre avec l’évidence bien propre à notre société contemporaine de penser, par exemple, qu’elle est “en danger” et que cela justifie la mobilisation de moyens publics pour la “soutenir” » (p.15). Puis quelques lignes en dessous il indique que « la lecture peut être entendue comme me activité de déchiffrage de texte qu’il s’agisse de la capacité à oraliser ou à en tirer du sens » (p.15). Définition bien large qui ne nous paraît pas pertinente pour appréhender le « danger » qui menacerait la lecture. Nous disons que « lire, c’est comprendre ».
Un peu plus loin dans le texte, lorsqu’il parle d’illettrisme, il cite Jean Foucambert et l’Association Française pour la Lecture qui évaluaient, dans les années 80, à 70% le nombre de ceux qui ne maîtrisaient pas efficacement la lecture (p.31). Il aurait pu contextualiser ce chiffre. Les évaluations ministérielles d’alors indiquaient que 30% des élèves possédaient les compétences remarquables en lecture (combien sont-ils aujourd’hui ?) : très efficaces, ils sont capables de saisir le sens littéral du texte, de le questionner, d’en percevoir l’implicite. L’écrit peut alors devenir un outil pour se penser et penser le monde. Ce sont des lecteurs, les autres ne le sont pas tout à fait. Les bons en calcul comprennent alors le chiffre de 70%.
Vérifier s’il existe un lien entre la baisse des pratiques de lecture de textes longs, parfois exigeants, évoquée dans le numéro précédent des Actes de lecture (baisse des ventes de romans et des prêts en bibliothèques), activité concurrencée par d’autres pratiques culturelles chronophages, et l’enseignement de l’écrit à l’école, au collège et au lycée apparaît nécessaire. Si le sociologue rappelle que « la baisse de la lecture aurait été encore plus importante si le niveau scolaire moyen n’avait pas augmenté parallèlement » (p.43), il montre, avec justesse, les dangers d’une trop grande scolarisation de la lecture : « Toute lecture tend à devenir scolaire étouffant ainsi les autres usages possibles de la pratique » (p.44). « Le défi pour les acteurs du livre serait bien sûr de retrouver les moyens de se reconnecter à la dimension personnelle des jeunes » (p.71). Les injonctions « il faut lire » ou les évocations du « plaisir de lire » stimulent surtout le refus d’entrer dans les livres. D’ailleurs, « entre la fin du primaire et la fin du collège, les pratiques de lecture évoluent dans le sens d’un repli général de l’imprimé » (p.69). Dans cette revue, il a été souvent rappelé la nécessité de déscolariser la lecture.
Le texte revient sur la dimension générationnelle de la baisse du nombre des lecteurs réguliers (plus de 20 ouvrages par an) : « la génération”mai 1968” comportait 42% des “mordus” de livres alors que la génération “11 septembre” n’en compte plus que 17 % » (p.40). De plus, lire n’est plus une pratique « distinctive » puisque nombre de cadres n’éprouvent plus la nécessité de faire état de leurs lectures. « Le recrutement et la formation des élites ne reposent plus prioritairement sur la maîtrise, la production et l’appropriation personnelle d’une culture de l’écrit. Les compétences scientifiques, managériales ou commerciales occupent une fonction souvent plus importante » (p.42). Faut-il alors s’étonner que l’humain s’effiloche ? Certaines facultés de médecine, par exemple, ont perçu que le recours à la littérature dans ce qui plus un art qu’une science ne nuirait pas au développement de l’empathie envers les patients. « Le statut même de la lecture de livres [...] change : elle ne fait plus partie des pratiques constitutives de l’appartenance aux élites sociales » (p.43). Le côté positif pour l’enquêteur : la personne interrogée n’exagère plus le nombre de livres lus. « Lire peu dans un monde où la valeur de la lecture est reconnue revient à prendre le risque d’une dévalorisation au moins relative. De ce fait, [...], les déclarations ont pu donner lieu à une surestimation. A l’inverse, la banalisation du livre et le reflux de la lecture dans la formation et le recrutement des élites ainsi que dans les pratiques culturelles des catégories supérieures, dont les enseignants, ment les conditions d’une atténuation de cette tendance » (p.51).
Le livre est édité dans une collection plutôt destinée aux étudiants futurs professeurs qui y trouveront une introduction intéressante de la question. Ceux qui travaillent depuis longtemps sur la pédagogie de la lecture n’apprendront sans doute pas grand-chose dans cet ouvrage qui recense des travaux connus, certains déjà anciens, mais, facile à lire, il en permet une remémoration rapide. De plus, il aide à prendre conscience des manques, non dus à l’auteur, mais au fait que la connaissance d’un sujet aussi complexe que la lecture nécessite de faire dialoguer plusieurs disciplines.