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« Comment on apprend à lire »

Carol BLACK

Le choix de la « méthode de lecture » « grapho-phonétique » est un choix profondément philosophique et politique. Même de l’autre côté de l’Atlantique ! Carol Black y met au jour l’imposture des arguments scientifiques - en réalité au service d’intérêts économiques et politiques. Et rappelle qu’apprendre est inné.

« Apprendre à lire spontanément peut arriver chez quelques enfants. Mais la vaste majorité a besoin toutefois d’une instruction explicite à partir des phonèmes (et tous peuvent y trouver avantage) ». Telle est l’affirmation publiée sur mon compte Twitter par une jeune « journaliste, consultante et conférencière, qui aide les gens à comprendre comment nous apprenons et comment nous pouvons faire mieux ». De telles déclarations ont été émises par l’institution scolaire durant la dernière centaine d’années environ. Le fait que les vérités prouvées par chaque génération se soient révélées être follement nocives par la suivante ne décourage jamais la flopée actuelle d’experts d’être toujours prêts à imposer leurs nouvelles certitudes sur l’enfant.

Le « consensus scientifique » à propos des correspondances grapho-phonétiques, a été élaboré par un panel convoqué par l’administration Bush. Il a permis de justifier l’utilisation de milliards de dollars dans des contrats du gouvernement offerts à des soutiens de Bush dans l’industrie des manuels et des évaluations. Mais, si on regarde l’histoire, ses jours sont comptés. Dans quelque temps, il y aura de nouvelles recherches qui prouveront que l’instruction par la grapho-phonétique directe est nocive pour les très jeunes enfants, qu’elle les déroute et les consterne en les amenant à détester la lecture (nous savons tous que c’est vrai, la science pourrait finir par le découvrir !) et des millions de nouveaux manuels, d’évaluations et de guide pour enseignants devront être payés par les contribuables à McGraw-Hill [1] .Les « données » disponibles ainsi rassemblées ne sont pas la « science de comment les personnes apprennent ». Il s’agit de la « science de ce qu’il se passe chez les personnes qui vont à l’école ». Il m’est apparu que les personnes aujourd’hui ne savent pas ce que sont les enfants. Ils savent seulement et, au mieux, ce que sont les enfants dans les écoles.

Reid Lyon, le « tsar de la lecture » de George Bush, a attiré l’attention des médias en se vantant que son approche de l’instruction de la lecture était « basée sur la science et non pas sur la philosophie ». Mais il n’y a rien de scientifique sur l’effort de choisir quelle est « La Meilleure Méthode Prouvée pour enseigner la lecture à tous les enfants ». Comme Henrich et al. le montrent, les recherches WEIRD [2] viennent des conclusions WEIRD parce qu’elles sont conduite par des chercheurs WEIRD qui posent des questions WEIRD Dans ce cas, la question qu’ils ont demandée était « Si nous forçons tous les enfants des États-Unis à apprendre à lire d’une façon unique ; quelle sera celle façon ? ». Mais, il n’y a aucune raison scientifique de poser cette question. C’est un choix profondément philosophique et politique.

Pratiquement tous les colons américains blancs dans les colonies du nord-est, au temps de la révolution américaine (1775-1783), pouvaient lire, non pas parce qu’ils étaient allés à l’école et, certainement pas, parce qu’on leur avait enseigné la grapho-phonétique — elle n’existait pas à l’époque. Le sens commun de Thomas Paine qui n’est pas vraiment une lecture légère a été vendu à 500 000 exemplaires la première année de sa publication, ce qui correspond, de nos jours, à un livre qui se vendrait à soixante millions d’exemplaires. Les personnes ont appris à lire d’un grand nombre de façons, certaines à partir d’une petite école avec une seule salle, mais beaucoup avec leur mère, leur tuteur, des pasteurs nomades, des maîtres d’apprentissage, la famille, des amis et des voisins. Ils pouvaient lire parce que dans une population lettrée, il n’est vraiment pas difficile que, d’une personne à une autre, tous finissent par savoir lire. Quand une personne veut vraiment acquérir une compétence, c’est comme un virus. Vous ne pouvez pas l’en empêcher, même si vous essayez. En d’autres termes, les gens pouvaient lire pour les mêmes raisons que nous pouvons maintenant utiliser des ordinateurs. Nous ne savons pas utiliser des ordinateurs parce que nous l’avons appris à l’école, mais, parce que nous voulions l’apprendre et que nous étions libres de l’apprendre de la manière qui marchait le mieux pour nous.

Dans le monde moderne, à moins que vous n’appreniez à lire à l’âge de quatre ans, vous n’êtes plus libre d’apprendre de cette façon. Votre processus d’apprentissage sera alors planifié scientifiquement, contrôlé, surveillé et mesuré par des « experts hautement qualifiés » et opéré en accord avec les meilleures « données scientifiques » disponibles. Si votre style d’apprentissage ne correspond pas à la théorie du moment, vous serez humilié, pris en main, examiné, stigmatisé, testé, évalué et, finalement, diagnostiqué et étiqueté comme atteint d’une imperfection bénigne dans votre cerveau.

Lorsqu’on permet aux enfants de commencer à lire quand ils sont intéressés et prêts, de nombreuses anecdotes indiquent qu’il existe une sorte de distribution sur une courbe de cloche aplatie qui va d’un âge de quatre, cinq ans à un âge de dix-onze ans, avec un sommet de cloche qui s’étend largement autour des 5, 6, 7, 8, 9 ans (bien que le psychologue Peter Gray rapporte que les pratiques culturelles du texto pourrait bien déplacer cette moyenne plus tôt).

Comme le vent et le climat, comme les écosystèmes et les micro organismes, comme les cristaux de neige et l’évolution, l’apprentissage humain n’est pas domestiqué. Nous pouvons le redécouvrir maintenant en expérimentant, en observant, en écoutant, en explorant les milliers de façons d’apprendre qui existent encore partout sur la planète. Lire les données et les mettre de côté. Regarder les yeux de votre enfant, ce qui les rend vitreux et morts et ce qui les éclaircit, les stimule et les illumine. C’est là que se trouve l’apprentissage.

Extrait de : htlpj/scboolinglbeworld.org ! a-thousand-rivers/
Traduit par Michaël Seyne

« Un enfant n’a pas besoin d’un grand maître pour apprendre à parler ; il lui suffit d’être arec des gens qui savent parler. »

Confucius, cité in Tchouang-tseu, Œuvre complète, Gallimard/Unesco, p.218.
« Comment on apprend à lire »

[1McGraw-Hill est un très gros éditeur financé par l’institution éducative pour la création de matériels scolaires, de manuels et d’examens (NDT).

[2Weird, en anglais, signifie Bizarre.