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« Lire se livre, Éclats de lire »

Lu par Thierry OPILLARD

LIRE SE LIVRE, ÉCLATS DE LIRE, JEAN-PIERRE LEPRI, PRÉFACE DE JEAN FOUCAMBERT ET BERNARD COLLOT, POSTFACE DE LAURENT CARLE, ÉD. MYRIADIS, 264 PAGES, 2016

Dès la quatrième de couverture, le lecteur est prévenu, il n’y a pas tromperie sur la nature de ce qu’il va se mettre sous les yeux : « Considérer l’écrit comme un encodage de l’oral, c’est méconnaître l’intérêt spécifique de l’écrit - et s’en priver. L’écrit est si puissant que les dominateurs le contrôlent jalousement ; les autres - les dominés - sont réduits à écouter seulement, sans pouvoir (de) lire. ». Jean-Pierre Lepri se place délibérément dans le paradigme de la lecturisation, qui fait le lien entre les analyses techniques de l’acte de lire et les analyses politiques du maintien de cette lecture dans les seules élites dominantes. Ou, pour le dire de façon encore plus explicite, de l’utilisation de l’alphabétisation comme Instrument de domination et de maintien du peuple dans l’ignorance et les croyances.

Jean-Pierre Lepri se livre en dévoilant son histoire personnelle, probablement moteur d’une vie de réflexion sur et autour de la lecture : c’est la trajectoire classique du siècle dernier (décrite magistralement par Bourdieu et illustrée par Emaud) des enfants d’analphabètes, d’illettrés ou d’alphabétlsés, qui accèdent à la classe moyenne. Devenu enseignant (ce les plus dominants des dominés, les plus dominés des dominants » écrira Bourdieu), il accède aux analyses qui lui font prendre conscience du projet politique julesferryste. Son engagement dans le domaine de la lecture se traduit notamment par des activités d’éditeur (Voies Livres) et d’auteur. LIRE SE LIVRE reprend des textes écrits depuis 1985 chez Voies Livres et dans les Actes de Lecture. Des textes Inédits permettent de faire le lien et organisent l’ouvrage en un tout cohérent et structuré, fruit de plus de trente ans de réflexions sur le sujet. Le fait est que, malgré le règne du « nouveau », du « vu à la télé » et de l’obsolescence programmée du prêt-à-penser, elles n’ont rien de dépassées : ces réflexions sont toujours autant d’actualité et le monde a toujours autant besoin qu’elles soient partagées. On peut s’intéresser à la lecture et l’écriture depuis toujours, la façon dont l’auteur aborde le sujet engage encore et encore à la réflexion, par sa propre manière qu’il a de l’écrire. Nourri qu’il est de tous les champs
explorés, linguistique, historique, sociologique, psychologique, philosophique, littéraire, etc., Il fait de ce livre une synthèse heureuse et très roborative sur le sujet.

Tout en style parsemé de gourmandises polysémiques et de bonne humeur de la langue, la multiplicité des références en(li)vre et donne de nombreuses envies de lectures et d’approfondissements. On ne résistera pas au plaisir de signaler l’organisation originale de la bibliographie qui classe ensemble les livres des Diafoirus de la lecture, suppôts de l’alphabétisation, en une section Intitulée : Bibliographie sans intérêt pour notre propos... Et, plus généralement, à l’organisation du livre qui ne soumet pas le lecteur à une lecture linéaire, mais permet, par un sommaire clair, d’aller y construire lui-même ses recherches et son parcours.

En guise de conclusion, on serait tenté d’écrire, de façon trop légère : « A envoyer d’urgence à un Ministre de l’éducation nationale qui dirait s’intéresser au sujet. » Mais surtout pas, surtout pas gros bêta, c’est lui qui est chargé de surveiller la bonne tenue de l’alphabétisation. À intégrer tout de suite à ta bibliothèque de base des (futurs) enseignants ? Bon, allez, pourquoi pas, mais ça va être du boulot de faire entendre que l’eau est chaude quand elle est chaude quand on a appris que l’eau est froide quand elle est chaude. Enfin bref, tout ça pour dire que ce livre est utile à tous ceux et toutes celles qui s’interrogent de savoir pourquoi ça ne marche pas ces histoires de lecture et d’écriture et encore plus utile à celles et ceux qui ne s’interrogent pas. Mais ça, faut-il le dire ? Si jamais le corps social se réappropriait le sujet...

« Lire se livre, Éclats de lire »