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« Dictionnaire amoureux de l’École »

Lu par Monique MORET

DICTIONNAIRE AMOUREUX DE L’ÉCOLE, XAVIER DARCOS (DE L’ACADÉMIE FRANÇAISE), PLON, 648 pages, 2016

Un dictionnaire (selon l’ordre alphabétique) volontairement hétéroclite qui rassemble des anecdotes, des biographies, l’évocation de débats institutionnels, des souvenirs d’écoliers ou encore des questionnements théoriques sur l’école d’hier et d’aujourd’hui.

Quand j’ouvre le livre... « Lecture, rien ne va plus... », ça ne peut pas mieux tomber ! M. Darcos, alors Ministre de l’Éducation nationale, avait, comme ses prédécesseurs et comme le feront ses successeurs, voulu réformer l’École en 2008, « Je n’imposerai aucune méthode particulière aux enseignants pour transmettre ces savoirs aux élèves, car ils sont mieux placés pour connaître les capacités de leurs classes et choisir la méthode la plus appropriée pour les faire progresser. Mais je serai vigilant à ce que ces nouveaux programmes et cette nouvelle organisation du temps scolaire contribuent à ¡’amélioration significative des résultats de chaque école. », disait-il à l’époque. Il parlait de l’enquête PIRLS (Programme International de Recherche en Lecture Scolaire) selon laquelle les petits écoliers français de 10 ans maîtrisent moins bien la lecture que leurs homologues européens. «  Pire, dit-il, leurs performances se sont rapidement dégradées ». On peut donc espérer que 8 ans après, il va faire amende honorable, penser une solution au problème, essayer d’analyser cet échec. Hélas ! Rien de tout cela. On entend une nouvelle fois la même histoire au niveau des « procédés pédagogiques » : le syllabique et le global, « comme si, dit M. l’ancien Ministre, la seule bonne méthode n’était pas celle qui marche ». Et si, ce n’était pas la faute à l’année horrible ? 1968... Car, « C’est justement à partir des années 1970 que la lecture et la culture littéraire ont cessé d’être le pivot de l’enseignement du français », dit M. Darcos qui poursuit : « La rencontre avec les grandes œuvres diminua. Le patrimoine littéraire parut moins essentiel à la formation de l’esprit » ... (Qui était au pouvoir à cette époque ? Des affreux gauchistes ?).

À propos de méthode de lecture, et comme c’est un dictionnaire...

Méthodes de lecture.
« C’est la faute à la méthode globale »... Lui aussi l’a souvent entendu dans des réunions. Et par des gens qui ne savent pas ce que c’est. On ne saura pas (du moins tout de suite) en quoi consiste cette fameuse « méthode globale ». On apprend que l’apprentissage de la lecture commence vers 6 ans, que certains pays la repoussent à 7 ou 8 ans (comme la Finlande... Tiens ! N’est-elle pas dans le peloton de tête de l’enquête précitée ?). Il faut avoir, dit M. l’ex-Ministre, une bonne conscience phonologique, être bien latéralisé... et sur- tout vivre dans un milieu favorisé ! Suit une rapide explication des méthodes syllabique et analytique (cette dernière étant désignée comme globale ou semi-globale) pour arriver à « aucun pédagogue ne fera de choix unique... Tout apprentissage finit par être plus ou moins mixte, combinant les avantages de la méthode syllabique et de la méthode globale : les mois appris par l’analytique servent à découvrir les syllabes et les sonorités, ce qui permet le déchiffrage de nouveaux mois ». Et un seul « livre de classe » est cité : la « Méthode Boscher ou La journée des Tout petits ». On comprend après ça pourquoi les enfants ne savent pas LIRE !

Quand même, cette « méthode globale », qu’est-ce que c’est ?

Decroly, le global.
« Tous les pédagogues modernes (je pense notamment aux Ceméa...) se réclament encore de ce neurologue belge ». On apprend alors qui était cet Ovide Decroly qui accordait une grande importance à la vie en plein air. Se nourrir, lutter contre les Intempéries, se défendre contre les dangers, travailler pour se recréer socialement étalent les principaux enseignements qu’il tenait à mettre en place. « L’école devient un atelier ou un laboratoire dans lequel l’enfant vit et agit. La ‘classe’, à proprement parler, est partout, puisque tout est prétexte à apprendre : la rue, la cité, une cuisine, un jardin, un lieu de rie quelconque... Il s’agissait donc bien, dit M. Darcos, d’une ‘globalisation’, l’école se donnant pour guide premier ce qui intéresse un enfant et répondant à ses désirs sans ordre ni hiérarchie, parfois même au gré des demandes et des rencontres ». Ce n’est pas Ici qu’on apprendra ce qu’est cette fameuse « méthode globale » de lecture. Le pauvre Decroly est affublé du titre de « prophète » qui a eu des disciples « béats et illusionnés ».

B.A.BA, encore et toujours
C’est Jean Georges Stuber, un pasteur alsacien qui, en 1762, publie un « Alphabet méthodique pour faciliter l’art d’épeler et lire en français ». Et ça va durer 200 ans... Et ça dure encore ! M. l’ex-Ministre de l’Éducation nationale explique ensuite ce qu’est ce B.A.BA et la méthode syllabique ou synthétique, en enviant le tirage de la méthode Boscher (100 000 exemplaires par an !). La méthode globale est encore citée : selon M. le Ministre, il s’agit de reconnaître un mot, voire une phrase en entier pour lire... (C’est vrai qu’ainsi, les apprenants ne sont pas sortis de l’auberge !). Decroly et Freinet sont encore nommés... et même Jean Foucambert qui, en « zélateur de Freinet », affina la méthode puisqu’il « suggéra d’utiliser directement des mots entiers simples et familiers, voire des phrases entières, sous forme de différents jeux de devinettes ». (Il lit les Actes de Lecture régulièrement ?). M. le Ministre reconnaît aussi qu’« un bon lecteur ne déchiffre pas syllabe après syllabe », qu’« il reconnaît des groupes de mots » et qu’« il ne comprend ce qu’il lit que globalement, grâce au contexte ». « Le succès d’une telle méthode dépend des capacités propres de l’enfant à reconnaître et mémoriser visuellement un lexique relativement important ». Voilà. C’est dit. Il est de nouveau rappelé que « l’enseignement par la méthode syllabique est plus efficace, en particulier dans les milieux défavorisés »... Alors, pourquoi un quart des élèves rentre-t-il au collège en maîtrisant très mal la lecture ? Ce n’est pas à cause de la méthode globale : elle est si peu enseignée qu’elle ne peut pas être la cause de tant d’échecs ! Ce chapitre est conclu par le fait que « les enseignants du cours préparatoire font ce qu’ils peuvent en fonction des besoins de leurs élèves... ».

Un gros dictionnaire qui cite aussi les bons points, la dictée, le mammouth (un bon mot de Claude Allègre), l’orthographe (qui se relâche...), la récréation (au sens propre), la rentrée, etc. etc.

Et aussi, des « pédagogues » ou plutôt des personnages qui ont navigué autour de l’École : Buisson (Lieu de mémoire), Charlemagne, Comte (l’école entre commémoration et avenir), Condorcet (précurseur moral), Duruy (féministe avant l’heure), Ferry (l’homme de la synthèse), Guizot (père sévère), Hugo (et son credo). Montaigne (l’ambivalence éducative), Montessori (et sa belle espérance), Péguy (et la guerre scolaire). Rabelais (une utopie en kit), Rousseau (référence ambiguë), et enfin...

Zay, prophète et martyr.
Martyr, parce qu’il fut assassiné par des miliciens en 1944. Prophète, parce que Ministre de l’Éducation nationale et des Beaux-Arts pendant les 44 mois que dura le gouvernement du Front populaire, tout ce qu’il a institué alors s’est maintenu jusqu’à nos jours : les 3 degrés d’enseignement, l’unification des programmes, l’obligation de la scolarité jusqu’à 14 ans, les enseignements interdisciplinaires, le sport à l’école, le CROUS, le CNRS, le musée des Arts et traditions populaires, le musée d’Art moderne, la réunion des théâtres lyriques nationaux, le festival de Cannes... Jean Zay pensait que le système éducatif est inégalitaire, et que ce ne sont pas forcément les meilleurs qui accèdent aux postes décisionnels... Eh oui ! Xavier Darcos, Ministre délégué à l’Enseignement scolaire (2002-2004), Ministre de l’Éducation nationale (2007-2009) membre de l’Académie française depuis 2013, conclut son ouvrage par lui, « arec révérence ».

« Dictionnaire amoureux de l’École »