Article

« Coronavirus, La démocratie vite oubliée... »

Dominique VACHELARD

« Le CAC 40 vous pisse dessus, BFMTV vous dit qu’il pleut. »

Tag marseillais

Comment ne pas se questionner sur le fait que la pandémie qui a affecté de manière inattendue notre planète ait réussi à dérégler de manière aussi brutale que fondamentale la marche habituelle de nos institutions ? Au point d’avoir presque réussi à estomper toute trace de l’existence préalable d’un fonctionnement socio-politique guidé par un idéal démocratique.

L’écriture nous parait être l’outil privilégié pour analyser cette situation, parce que, tout en autorisant l’exercice de la pensée sur le réel, elle permet l’usage de filtres virtuels capables d’occulter une partie de ce dernier, en l’occurrence tout ce qui concerne les aspects sanitaires de la crise. Soit parce que ceux-ci ne présentent pas d’intérêt particulier, soit, comme c’est le cas en l’espèce, parce que la charge affective et émotionnelle liée aux événements, et savamment entretenue pas la communication officielle, ne permet pas une approche raisonnablement distanciée pour conduire une analyse suffisamment dépassionnée.

Les entraves à la liberté

Depuis plusieurs semaines, le monde vit au rythme d’une pandémie d’une importance jusque-là inconnue par la plupart de ceux qui l’expérimentent. Apparemment, et contrairement à l’habitude, ce fléau serait de nature démocratique : respectueux d’une certaine égalité, il touche arbitrairement tous les continents et tous les pays, en restant totalement indifférent à la couleur de peau des habitants, à leur richesse, à leur statut social, comme à leur culture.

Par le biais de l’écriture, nous souhaitons donc masquer, pendant un moment, le caractère exclusivement sanitaire de cette crise mondiale ; nous ne débattrons donc ni de virus, ni de contagion, très peu de décès, et tenterons de nous limiter à l’approche de certaines dérives politiques que celle-ci a pu provoquer. En effet, nul ne peut nier l’inimaginable agression que viennent de subir impitoyablement les libertés publiques, dans le monde, et en France en particulier. Ces dernières, élevées par la Constitution de 1958 au rang de principes généraux du droit français, occupent pourtant le sommet de la hiérarchie des textes juridiques. Et ces droits fondamentaux ont été obtenus après de hautes luttes, et généralisés par la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948. Ils s’imposent, dans notre pays, à toutes les juridictions, jusqu’au Conseil Constitutionnel, plus haute instance judiciaire française en matière de droits de l’homme. Dans ce modeste développement, celles qui font plus particulièrement l’objet de notre attention sont la liberté de circuler, celles de se réunir et d’entreprendre.

Or, que constatons-nous, depuis quelques semaines, dans la mise en œuvre des stratégies des différents pays ? Que, quel que soit le taux de démocratie supposé du pouvoir politique en place dans telle ou telle nation, toutes ces libertés ont été unanimement et massivement balayé d’un revers de main, comme si jamais elles n’avaient connu une quelconque matérialité.

En effet, dans notre pays, c’est sans aucune concertation, sans aucun véritable contrôle populaire a priori par la représentation nationale, ni a posteriori par une quelconque institution judiciaire, mais par la seule décision des gouvernants, qu’en quelques instants, l’autorité est devenue la règle. Si l’on veut bien en juger par la présence de la force policière déployée pour la mise en œuvre effective du confinement. L’exercice des libertés publiques, elles, dotées dorénavant d’un statut d’exception, est renvoyé à plus tard, on ne sait quand.

Ce qui demeure inimaginable et qui fait frémir, à l’occasion de ce renversement total et immédiat des valeurs fondatrices de notre régime, c’est l’extrême fragilité des institutions qualifiées de démocratiques. Ainsi, tout ce qui paraissait acquis peut-il disparaître en quelques instants, comme un feu de paille !

En ce qui concerne les entraves à la liberté de circulation, le confinement obligatoire a même pris en certains lieux des formes susceptibles de faire naître des doutes quant à la santé mentale de ceux qui les ont édictées ! Ainsi en est-il d’une commune française où le maire a limité l’amplitude des déplacements de ses congénères jusqu’à 10 mètres de leur domicile ! C’est 52 la longueur de la laisse ! Ailleurs, elle est d’une centaine de mètres, parfois d’un kilomètre ! Convenons que peu d’auteurs de littérature ou de cinéma fantastique auraient en l’audace de présenter un monde apocalyptique où l’individu devrait se munir d’un visa daté et précisant l’heure, ainsi que d’une carte d’identité, pour aller chercher son pain ! Tout simplement I-NI-MA-GI-NA-BLE !

Et le plus grave, à nos yeux, c’est que personne ne s’en offusque ! Le corps social est-il déjà si bien domestiqué qu’à la première injonction du pouvoir il rentre gentiment à la niche ? On peut le croire, ou sinon admettre que la communication officielle a parfaitement atteint son but : installer un climat de peur en martelant un scenario catastrophe montrant des flots de populations emportées par le virus maléfique ! Et il n’est pas indifférent de remarquer que, dans tous les cas, c’est l’usage de la communication qui crée et entretient la situation d’oppression.

Confiner, pourquoi ?

L’exécutif décide précipitamment le confinement de la population et la mise à l’arrêt de l’activité du pays. Alors que nous sommes en train de nous interroger sur les formes que prennent ces décisions, il est nécessaire de se demander ce qui nous garantit que le jeu en vaille la chandelle ? Et puis n’y avait-il pas une autre stratégie moins liberticide ? Non évidemment, pour un exécutif qui se réfugie derrière le concept de consensus scientifique, celui que les chaines de télévision sont chargées de mettre en scène à longueur de journée. Mais le sceau de la scientificité ne suffit pas à éloigner toute suspicion. Pensons que l’Éducation Nationale elle–même a eu recours à des conférences de consensus, notamment en matière de définition et de conditions officielles d’apprentissage de la lecture, avec les conséquences désastreuses que l’on connait.

Mais reconsidérons les enjeux actuels. Certains épidémiologistes statisticiens pronostiquent, pour la France, une mortalité liée au coronavirus avoisinant les 64 000 décès. Peu importe le caractère incertain et approximatif de la prévision, nous constatons que le taux de mortalité de l’épidémie avoisinerait ainsi 0,1% de la population totale du pays.

Maintenant, si nous prenons pour référence d’autres fléaux qui se sont abattus sur notre planète, comme par exemple le conflit mondial de 14-18 (taux de mortalité de 4,25%) [1] ou la guerre en Syrie (taux de 2%) [2], nous constatons qu’ils sont bien plus meurtriers (respectivement 45 fois et 20 fois plus) que la féroce pandémie qui s’abat aujourd’hui sur nous. On pourrait tout aussi bien évoquer le nombre de victimes quotidiennes de la famine : pensons qu’à notre époque, ce sont encore 25 000 personnes qui meurent de faim chaque jour [3] ! Dans l’indifférence. Remarquons qu’à ce rythme, l’actuelle épidémie s’éteindrait au bout de 2 jours ½ !

Mais pour ces derniers cas évoqués, aucune parade n’a jamais été imaginée. Ni confinement, ni distanciation sociale. Évidemment ! Puisque, à la différence de la pandémie actuelle, d’origine probablement aléatoire, on ne peut abstraire dans ces derniers cas l’existence d’une conscience et d’une volonté de nature humaine, retirant à la catastrophe son caractère inexorable, et donc inévitable.

Alors, où et comment s’opère la manipulation des consciences ? Qui pratique l’anesthésie d’un peuple incapable de se rendre compte de la violence qu’il est en train de subir ? En précisant que nous ne limitons pas la réalité du caractère autoritaire de notre régime à la seule crise sanitaire actuelle. La violence symbolique est présente en permanence dans l’espace social, et tous les régimes politiques, quelle que soit leur appellation, sont autoritaires. Ils conservent ce caractère de manière plus ou moins apparente dans leur fonctionnement, et cette nature totalitaire réapparaît et devient parfois visible en temps de crise. Nos institutions définissent ces périodes comme des circonstances exceptionnelles, mais on imagine que l’usage du seul lexique n’est pas en mesure de faire avaler des couleuvres à toute une population. Les gouvernants doivent alors être capables de domestiquer celle-ci efficacement, et, heureusement pour eux, ils disposent à cet effet d’outils à l’efficacité éprouvée.

Les outils de l’oppression

Historiquement, le pouvoir politique a toujours été à la recherche de soutiens ; il a régulièrement eu besoin d’appuyer son propre pouvoir sur celui d’une autre institution. Pendant longtemps ce rôle a été assumé par l’Église, notamment, ainsi que par l’armée qui, par le biais de la conscription, recevait tous les jeunes hommes et s’attachait à parfaire leur « éducation citoyenne ».

Aujourd’hui, il s’avère que l’influence de la première est en baisse, et que la seconde n’est même plus nécessaire, puisque deux outils complémentaires se chargent maintenant de la mise au format des consciences populaires. Ponctuellement, en fonction de l’urgence et de l’actualité, c’est tout d’abord la maîtrise des moyens de communication de masse (medium télévisuel notamment) qui permet d’atteindre, massivement et en temps réel, l’ensemble de la population pour diffuser la doctrine officielle. Et sur un temps bien plus long, c’est la maîtrise complète des formes et contenus de l’enseignement scolaire qui assure aux gouvernants le « confinement » de la population dans la maîtrise des seuls savoirs élémentaires, réservant l’usage expert de ceux-ci à une caste particulière.

La communication. On peut observer, notamment en temps de crise, l’usage abondant que font les gouvernants du canal télévisuel qui s’est imposé comme le plus adapté à la gestion de ce type de situation. Il est vrai que le public est en grande partie captif pour cause de confinement, et que la communication s’effectue par l’oralité, ce qui ne demande pas d’effort particulier au spectateur. Celui-ci totalement passif se laisse porter par le flux du discours qui peut être complété par des informations de nature graphique (images, cartes, tableaux, courbes, etc.). Si l‘on souligne le fait que certaines chaines dites d’information, comme BFMTV, diffusent celle-ci en continu, on comprend alors l’efficacité du dispositif. Chacun sait, pour avoir vu les procédés d’endoctrinement utilisés par les religions et les sectes notamment, que c’est par la répétition incessante que l’on parvient à créer la croyance, et qu’il importe peu que celle-ci repose sur un quelconque fondement tangible. C’est ainsi que la parole officielle prend peu à peu le statut de vérité opposable à tous.

Le système scolaire. Le besoin de contrôler les savoirs, pondéré par celui de former des citoyens capables de tenir leur rôle économique et social, explique les contradictions dans lesquelles baigne l’école. Car malgré la formulation par le pouvoir de vœux ambitieux de formation du citoyen, on ne peut que constater la déficience de notre système scolaire à 54 former des individus capables de s’informer par leurs propres moyens ou de donner du monde leur propre théorie. Ceci serait possible si les savoirs étaient distribués de manière équitable, ce qui est loin d’être le cas. Il suffit, en effet, d’avoir présent à l’esprit le fait que, parmi tout ce qui fait l’objet d’une redistribution sociale, bien devant la richesse matérielle, c’est, de loin, le savoir qui est le plus inégalement réparti entre les citoyens !

L’école a pour mission implicite la domestication du corps social, en n’obéissant qu’à une finalité précise, celle de maintenir en place un ordre capable de pérenniser notamment les rendements du travail, de l’industrie, du commerce international et de la finance. Et c’est ce contrat social implicite et inégalitaire qui est la réalité politique de notre régime : la grande majorité des agents sociaux sont tenus à l’écart de toutes les décisions, qui sont finalement prises par quelques-uns, une minorité, les décideurs. Les plus nombreux se voient confier, en revanche, une simple maîtrise des compétences les plus basiques, celles qui sont suffisantes pour obéir aux ordres du patronat et des dirigeants de tout poil. Celles qui permettront donc d’être des exécutants obéissants et efficaces.

À ce sujet, l’inquiétude récente, et toute nouvelle, des gouvernants par rapport aux risques de voir croître les inégalités scolaires, serait risible si la situation n’était pas dramatique. Confondant temps d’enseignement et construction effective des apprentissages, le système voudrait faire croire à tous, parents et enseignants, que le développement intellectuel de l’enfant est question de quantité : la somme de plusieurs temps de scolarité, à l’image d’une simple addition mathématique. C’est bien l’enjeu de ce que le gouvernement a inventé récemment, la continuité pédagogique. Or, chaque pédagogue un peu expérimenté sait parfaitement qu’apprendre est plus une question d’émergence, et que cette notion ne se comprend qu’à l’intérieur d’un système fondé sur la qualité des interactions ! La manière dont les élites construisent elles-mêmes, dans la nécessité et par l’expérimentation, la maîtrise des savoirs les plus experts, en dehors de l’aide de l’école (qui ignore jusqu’à l’existence de ces derniers parfois), nous semble plaider pour une telle conception des apprentissages.

Et, à propos d’expertise, personne n’ignore le fait que le président Macron est issu de la filière ENA-Inspection des finances, et que ce sont essentiellement les membres de cette même filière qui ont pris les rênes des grandes entreprises nationalisées au cours des 30 dernières années. En effet, une bonne partie du CAC 40 est composée de groupes dont les PDG sont d’ex-Inspecteurs des finances qui ont ainsi commis un véritable holdup sur la vie des affaires, en abandonnant leur carrière publique pour se consacrer à leur propre intérêt personnel, et qui sont même parvenus à hisser un des leurs au plus haut sommet de l’État [4].

La finance, une élite de décideurs très compétents, en plus d’œuvrer sur un matériau totalement virtuel, est même parvenue à inventer des profits du second degré : là où l’industrie et le commerce sont en recherche permanente de profit, les financiers raisonnent, eux, sur des méta-profits, à savoir les profits sur les profits ! Pas sûr que ce type d’aptitudes et de comportements soit susceptible de favoriser chez eux une réflexion et une action politiques qui seraient animées par un idéal égalitaire et humaniste... D’ailleurs, dès mai 1968, le philosophe Paul Ricœur pointait la menace qui guettait notre démocratie en prophétisant : « Le danger est que la direction des affaires soit accaparée par des oligarchies de compétents, associées [...] aux puissances d’argent ».

En conclusion

L’analyse un peu distante de la situation de crise nous offre la possibilité de mettre finalement en évidence les taux respectifs d’autorité et de démocratie qui fondent notre régime politique. Et nous y retrouvons, sans véritable surprise, une constante historique, le fait que ce que tous les régimes autoritaires recherchent avant tout à maîtriser et à restreindre, c’est l’accès de leur population à l’information et au savoir. Et si l’autodafé, l’embrigadement de la jeunesse et son maintien à l’écart d’un système d’éducation, la mainmise sur tous les média sont habituellement la règle, les régimes proclamés démocratiques ont plutôt recours à des outils aussi performants, mais beaucoup plus subtils et discrets, pour mettre en place et assurer, sans douleur, leur domination.

À l’AFL notamment, nous avons dénoncé depuis longtemps la nature de la mission implicitement assignée à l’école, celle d’imposer une idéologie, un ordre social et des comportements adaptés à la pérennisation du système. La crise actuelle, en retirant un peu du vernis qui recouvre habituellement le fonctionnement de nos institutions, révèle leur réelle vocation et leur véritable essence. Tout ceci ne fait que confirmer nos analyses et points de vue sur l’importance capitale des enjeux liés à la maîtrise experte de l’écrit, dès lors que l’on envisage les problématiques respectives du pouvoir, du savoir et... des libertés.

« Coronavirus, La démocratie vite oubliée... »

[11 700 000 morts sur une population de 40 millions de personnes.

[2370 000 morts sur une population d’environ 20 millions d’habitants.

[3Site des Nations Unies, Chronique ONU (https:// www.un.org/fr/chronicle/article/chaque-jour-25-000personnes-meurent-de-faim).

[4D’après huffingtonpost.fr, Laurent Mauduit, 3 octobre 2018