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« L’école, en rire, en pleurer, en rêver » (Pierre Frackowiack)

Lu par Jean-Marie KROCZEK

« L’ÉCOLE, EN RIRE, EN PLEURER, EN RÊVER », PIERRE FRACKOWIAK, BANDES DESSINÉES DE JACQUES RISSO. CHRONIQUE SOCIALE, 112 p., 14€

Pierre Frackowiak, IEN honoraire, fait partie de ces responsables de l’Éducation Nationale qui ont fait preuve, au cours de la dernière période, de courage, dans leurs prises de position comme dans leur attitude et se sont opposés, sans concession, aux politiques répressives et aux contre réformes mises en place sous le règne de la droite.

Les récents ouvrages qu’il a publiés, ses analyses revigorantes diffusées dans le Café Pédagogique, sa chronique décapante dans Educavox, site collaboratif auquel il participe depuis sa fondation, en font un observateur lucide et reconnu qui exerce une vigilance constante dans le domaine de l’éducation. Les événements, décisions, orientations et nouveaux textes qui concernent l’éducation y sont non seulement scrutés, disséqués, commentés mais toujours accompagnés de propositions constructives et d’un appel à la réflexion collective.

Pourfendant publiquement et avec vigueur le retour au B-A - BA imposé par le ministre De Robien qui laisse encore des traces en 2013. « Un maître de CP suivant un manuel est tranquille, celui qui veut innover doit se justifier et être capable de faire un cours sur les neurosciences » explique t-il en faisant preuve d’une grande constance et d’une forte cohérence dans l’affirmation de ses convictions et de son socle de fondamentaux, tout en transcendant les clivages syndicaux, politiques et pédagogiques habituels.

Son dernier livre L’école en rire, en pleurer, en rêver est un livre qui d’emblée place les pratiques pédagogiques au cœur de la question de la refondation et de tout projet d’une politique éducative. La postface est signée Philippe Meirieu avec lequel il a écrit L’éducation peut-elle être au cœur d’un projet de société ? et qui a déjà préfacé Pour une école du futur. Du neuf et du courage. André Giordan en a écrit la présentation et son titre constitue déjà tout un programme : Être lucide sur les réalités, espérer et agir.

L’ouvrage qui ne cède jamais à la facilité est agréable à lire, structuré en 38 sujets illustrés par une bande dessinée, agrémentée de caricatures qui à elles seules délivrent un message vivant et humoristique sur l’état de l’école aujourd’hui. Sur le plan de l’écriture, il révèle du souffle, un rythme qui exclut la monotonie et une expression sans langue de bois. Un document traité avec l’humour et la finesse qui conviennent dans une telle période.

Toutes les questions d’actualité sont abordées sous des titres incitatifs : « Quand l’usine à case sévit... pauvre gosse ! », « Comment détruire le plaisir d’apprendre ? », « Ils savent pourtant tant de choses mais elles ne sont pas au programme » « Je me protège de la bordélisation » ou encore « le règne de l’apparence » « Casser les murs » et enfin un chapitre qui nous intéresse bigrement « L’éducation du futur globale et populaire ».

« L’école de Jules Ferry n’a jamais vraiment disparu et c’est bien là le problème »

À l’exception de la loi d’orientation de 1989 qui n’a pas été suffisamment soutenue et n’a pas pu produire tous ses effets, Pierre Frackowiak déplore l’absence d’un grand projet éducatif national cohérent moderne lisible et mobilisateur. Il affirme d’entrée que « la refondation est une transformation fondamentale du système, des structures, des programmes, des pratiques et des missions des enseignants, des relations avec les partenaires ».

Sa vision diachronique de l’école publique depuis sa création, lui permet d’affirmer que malgré la phase importante de rénovation pédagogique « l’école de Jules Ferry n’a jamais vraiment disparu et c’est bien là le problème ». Dans son regard sur l’histoire contemporaine de l’école, jusqu’à la période 2007-2008, il démonte bien des idées préconçues sur l’efficacité de cette école, pointe les rendez vous manqués avec les transformations et les responsabilités partagées de la droite et de la gauche dans l’échec de la mise en place d’un autre système éducatif démocratique égalitaire et ouvert. L’ère des réformes a conduit à partir des années 1970 à des changements mesurés. Les travaux de l’AFL, écrit-il, impactent les conceptions de la lecture tandis que l’introduction des mathématiques modernes, par leur flop retentissant, affecte le crédit de la rénovation. L’école n’a pas réussi à rompre avec des pratiques dépassées : une heure / une classe ; une salle / une discipline / un point du programme.

« L’école du futur globale et populaire se construit aujourd’hui »

On relèvera la proximité avec les problématiques développées par l’A.F.L. qui vient d’organiser avec les revues Les Actes de Lecture de N’autre école un colloque au centre duquel cette question était posée : que doit-on chercher et apprendre à faire ensemble pour mettre le système éducatif sur la voie de l’école du peuple ? Sans attendre les changements politiques, la construction d’une alternative à cette école traditionnelle de la transmission implique des transformations sociales et pédagogiques fondamentales. « Il faudrait prévoir que les établissements ne seront pas que des couloirs et des suites de classes mais des élèves, des enfants, des jeunes, que ces élèves voudront y vivre et pas seulement absorber des savoirs disciplinaires, qu’ils voudront pouvoir travailler en petits groupes autonomes, présenter leurs travaux, rencontrer des porteurs de savoirs autres que leurs professeurs, organiser des débats, satisfaire leurs curiosités, échanger, créer, jouer, vivre en commun. Il faudrait prévoir que les parents voudront trouver leur place, comme citoyens eux-mêmes porteurs de savoirs. »

En considérant avec Jacques Berchadski [1] que la pédagogie est « l’ensemble des conditions de développement qui permettent à l’individu d’accéder à la conscience des rapports sociaux qui le déterminent », cette école du futur à l’opposé d’une école désespérément individualiste s’invente dès à présent dans les classes autour de projets collectifs à dimension sociale. « Et si les élèves devenaient des faiseurs, des producteurs, des diffuseurs de savoirs ? Et s’ils étaient appelés à utiliser et à renforcer leurs compétences dans des situations ayant du sens ? » se demande Pierre Frackowiak. L’A.F.L. pourrait illustrer par de nombreux exemples du terrain, ces hypothèses. Citons en trois, celui de la B.C.D. en libre accès et gérée par les élèves eux-mêmes, les classes lecture au cours desquelles les élèves produisent quotidiennement un journal d’opinion en circuit court, et les collégiens formateurs dans la cité « Un collège s’organise afin de mettre ses savoirs à l’œuvre pour engager dans son environnement l’ensemble de la population à développer des rapports experts à l’écrit » [2]...

L’un des leviers pour la transformation des pratiques pédagogiques demeure la formation des enseignants qui devra, selon l’auteur, outre la sociologie, l’anthropologie, l’histoire des disciplines intégrer une nouvelle conception de l’éducation globale et ouverte.

Dans l’immédiat, Pierre Frackowiak insiste sur la nécessité de se guérir de l’évaluationite, de tourner le dos aux nouveaux-vieux programmes de 2008 qui privilégient la mémorisation et la mécanique au détriment de l’intelligence et du sens, d’abandonner définitivement le pilotage par les résultats inspiré par le monde de l’entre - prise et dont on mesure l’inefficacité y compris dans la sphère de l’économie. Il est urgent de mettre un terme à toutes les mesures imposées, l’autoritarisme hiérarchique qui perdure constitue l’une des caractéristiques les plus entravantes de notre système éducatif.

On retrouve là ses thèmes de prédilection qui dans le livre, à travers les constats, les bandes dessinées et les témoignages dressent un état presque historique de l’école aujourd’hui.

« L’école, en rire, en pleurer, en rêver » (Pierre Frackowiack)

[1A.L. N°109 (mars 2010). Pédagogies alternatives, Marx et Engels, pédagogie et système éducatif, Jacques Berchadsky

[2A.L. N°65 (mars 1999) Les collégiens, des formateurs dans la cite. Proposition sur l’organisation et le fonctionnement du collège. Jean Foucambert, Yvanne Chenouf