Dossier Apprendre à lire une langue qu’on ne parle pas

« LSF et leçon de lecture »

AFL

L’équipe d’enseignants sourds et entendants réunie en 2013 à l’université d’été de l’AFL a travaillé autour des questions de l’apprentissage de la lecture et notamment sur l’usage et l’utilisation de VIDEOGRAPHIX.

Le groupe se donne cinq directives pour la conduite de son travail...

1) Utiliser la LSF sert pour parler de l’écrit, et non pas parler l’écrit.

2) Travailler sur un texte écrit (texte de littérature par exemple), car on a besoin d’implicite.

3) L’acculturation : s’approprier une culture que l’on ne possède pas.

4) Pas de faire semblant.

5) Se doter chacun d’un carnet de chercheur (ce que j’aurais noté au fil des jours me donnera des éléments pour nourrir ma pédagogie et celle du groupe de recherche).

Le groupe découvre la démarche de La Leçon de Lecture.

Le travail commence à partir de l’album « Le voyage d’Oregon ». Il s’agit de prendre note de toutes les idées que nous inspire la première de couverture : dégager un horizon d’attente. Le signe d’Oregon est créé : la main sur l’épaule ; chacun peut créer son signe comme il l’entend. Nous cherchons des indices sur la couverture, et en même temps, essayons de convoquer tout ce que nous avons derrière la tête, qui fait notre propre culture identitaire, qui fait que ce livre-là devrait ou pas résonner avec ce qu’on sait déjà des autres lectures qu’on a faites avant, de la vie qu’on a et de ce qu’on a déjà vécu. De cette discussion vient une question, la question de recherche : qui s’appelle Oregon, le clown ou l’ours ? Il faudra vérifier dans le texte.

Le lecteur ne fait rien d’autre que d’aller chercher ce qu’il attend d’un texte. L’enseignant transforme toutes ces questions qu’on se pose en discutant en langue des signes, en questions écrites. Cette interaction – on parle en langue des signes et quelqu’un note au tableau – fournit de nombreux éléments pour aller regarder, si et alors comment, cela se retrouve dans le texte. On est ainsi dans une période d’interaction entre le langage de travail, le langage oral ou la LSF, et la spécificité du langage écrit qu’on est en train d’apprendre. Un éventuel enregistrement vidéo de ce travail signé donne une trace de tout ce qui a été dit. Cette trace de la langue des signes permettra de recontextualiser la lecture de prise de notes.

Il est important, après avoir fait tout ce travail avec les élèves, de prendre un moment pour qu’ils prennent conscience de ce qu’ils ont appris. Il s’agit de faire la différence entre une situation problème et une situation problématique. La situation problème, c’est tout ce qu’on connaît en pédagogie traditionnelle avec la méthode interrogative. Alors que la situation problématique, c’est quand l’enseignant autant que les élèves ne sont pas sûrs de l’endroit où mène cette recherche. Les hypothèses qu’on va noter ne sont pas forcément des choses qui étaient prévues. Cela peut mener vers la recherche d’autres significations que l’enseignant lui-même n’avait pas envisagées. On est vraiment dans la démarche d’une construction collective.

Dans un deuxième temps de recherche, Duke, le troisième personnage, apparaît ; et nous trouvons des noms propres, des noms de ville qui nous amènent naturellement vers un travail en géographie.

Nous décidons de lister tous les pronoms qui évoquent les personnages. Avec IDEOGRAPHIX,* il est très facile d’imprimer ces mots sous forme d’étiquettes, puis les trier, les classer. Par exemple, ceux qui représentent Duke, le narrateur...

Spécificité du travail en LSF : l’approche contrastive.

Nous nous lançons ensuite dans une phase de théorisation par une approche contrastive des deux langues, l’écrit et la LSF (voir tableau ci-dessous).

► Premier exemple : dans le texte, on peut lire « Ce nez rouge et ce masque blanc, ils me collent à la peau ».

« Donc le ‘‘me’’ et ‘‘ils’’ de ‘‘ils me’’. Dans cette phrase-là, en langue des signes, qu’est-ce que ça va donner ? Je fais le geste ‘‘mets le nez rouge sur le masque blanc’’ puis je fais un transfert de personne. Je me retrouve, moi, en tant que clown, je joue le rôle du clown, et je mets la forme du masque sur mon personnage de clown. »

► Deuxième exemple : «  m’a demandé Spike »

« Spike, qu’on va signer par « casquette de livreur de pizza ». Je dis « il me demande, à moi », en langue des signes. C’est ce qu’on appelle un signe standard .

« M’ », je le retrouve dans l’orientation de « demande », c’est un verbe directionnel, je l’oriente vers moi. »

Commentaires d’images Vidéographix sur le travail effectué à Coëx

À partir des panneaux des expressions et des mots de base travaillés en classe, nous avons créé des exercices avec la fonction exerciseur d’Idéographix. Cela permettra de retravailler systématiquement des choses qu’ils ont comprises ensemble.

Nous préparons différentes séries d’exercices pour plusieurs niveaux, selon ce que chacun a appris . Mais un enfant en difficulté est capable de comprendre quand même ce que font les autres. Il les a vus chercher, il comprend ce qu’ils font quand ils font leurs exercices car on les a travaillés collectivement. Les exercices ne doivent jamais servir à mettre l’enfant en peine, ou à évaluer ses compétences. Ils servent à s’exercer, comme leur nom l’indique. L’enfant en difficulté va d’abord faire l’exercice avec les autres, sur une grande feuille, format affiche s’il le faut. Au début, il se peut qu’il ne sache rien faire. Il n’y a pas de raison, mais imaginons qu’il ne sache pas le faire. Dans l’exemple que je vous montre, c’est lui qui a repéré le « je ». Puis il voit deux fois « il », et un autre élève, un peu plus grand, va lui expliquer la relation avec le personnage. Alors à ce moment-là, il saura peut-être le remettre à sa place. Et quand ils auront fait ce travail collectivement, quand ils auront recherché et qu’ils seront en sécurité par rapport à cet exercice, ils vont pouvoir le refaire tout seul, sur du papier et/ou avec l’exerciseur d’Idéographix. Sur Vidéographix, on peut faire le lien avec la batterie d’exercices tout prêts à utiliser sur l’ordinateur.

Préparer un exercice dans Idéographix prend très peu de temps ; par exemple, trente secondes, pour un exercice de ce type (un exercice sur la ponctuation). Après, on vérifie sa durée ; il y a bien sûr quelques petites manipulations à effectuer, ce qui peut paraître compliqué au début. La première fois, j’ai trouvé ça épouvantablement compliqué, mais dès la deuxième, tout m’est paru simple. Idéographix propose une soixantaine d’exercices possibles. Pour préparer, un type d’exercice... vous choisissez dans votre texte les éléments que vous voulez voir repris ; cela se fait automatiquement. Les exercices peuvent être faits par les élèves sur l’écran de l’ordinateur sous la forme d’une présentation dynamique mais ils peuvent être aussi imprimés sous la forme de livrets. Pour constituer ces livrets, le logiciel place en première page un récapitulatif des exercices, exercices qui sont intégrés automatiquement.

Ensuite, ces livrets d’exercices sont proposés, soit pour le groupe concerné, soit pour tous, sur Vidéographix.

En effet, Vidéographix permet de partager des savoir-faire et des compétences. On peut travailler en langue des signes sur des textes notamment avec la fonction lire et relire le texte en autonomie et reprendre des passages qui peuvent encore être obscurs pour les élèves à la lecture. On peut aussi agir en binôme sur des interprétations de texte, c’est-à-dire que chacun va le dire à sa façon, comme un entendant lit en rajoutant des intonations. C’est une interprétation et ce n’est pas important si elle n’est pas idéale. On peut même l’envoyer à une classe qui ne sera pas d’accord avec un passage. Alors, on en rediscutera. D’autre part, Vidéographix permet de partager des outils de travail.

Vidéographix est bien une plateforme collaborative. Vous pouvez mettre des textes sur lesquels vous travaillez et les activités que vous menez. Vous pouvez y intégrer des vidéos du travail fait avec les élèves et vous choisissez alors qui peut voir votre travail. Ce n’est pas du tout du matériel qui va partir sur Internet, n’importe où. Il suffit de s’inscrire sur www.videographix-lsf.fr

Très souvent, les sourds discutent sur les problèmes d’adaptation de contes, de lectures vers la langue des signes. L’AFL, avec Vidéographix, propose un outil extrêmement intéressant. On peut par exemple, faire des commentaires en direct, faire des propositions. Tout cela s’ajoute. On peut regarder, travailler plus précisément chacun des éléments, et les choses avancent comme ça. C’est une recherche linguistique sur la langue des signes, le vocabulaire, etc. On peut faire des échanges par Webcams interposées. Alors, bien sûr, il faut accepter les critiques des uns et des autres, c’est comme cela qu’on progresse ; et tous ces échanges font que tout le monde avance.

Classe lecture en université d’été ! Échanges autour d’une proposition de Hatice AKSEN, Présidente de l’association Deux langues pour l’Éducation Politique Bilingue (2LPE PB)

L’ELPE est une association de militants, de parents entendants ou sourds, de professionnels, d’interprètes, d’auxiliaires de vie pour les sourds, etc. ; lieu d’un partenariat à trois et d’un militantisme à plusieurs niveaux. Ce que présente l’AFL est extrêmement intéressant. L’outil VIDEOGRAPHIX nécessite un engagement. Il ne suffit pas de se connecter. C’est une réflexion qui est encore en cours et qu’il faut mûrir. Je propose que 2LPE se lance dans une rencontre entre parents, professionnels, enfants, pendant une semaine avec des conférences, des ateliers... une université d’été avec l’AFL.

 Depuis déjà 80-81, années au cours desquelles nos stages ont commencé, la déontologie des interprètes a été faite et beaucoup de choses se sont développées. Mais la participation entre nous ne se développe pas vraiment. Plutôt que de nous réunir chacun de notre côté, AFL et 2LPE pourraient se retrouver, échanger tous les soirs, et notre militantisme en serait d’autant plus efficace.

 Je réagis tout de suite. À l’AFL, nous sommes tout à fait réceptifs à l’idée du partenariat. L’idée de se réunir pour travailler ensemble, cela donne une dimension extrêmement importante, et je soutiens l’idée de la présence des parents, sans qui rien n’est possible. Ils sont, les parents, à part entière dans l’affaire.

 Je me disais également que les professionnels ont une formation pour pouvoir enseigner à leurs enfants sourds, avec leur pédagogie, etc. ; mais, les parents, qu’ils soient entendants ou sourds, ne sont pas forcément très compétents en langue des signes, en langue française, et ils ont peut-être aussi besoin de formation, que quelqu’un de véritablement compétent leur explique comment se saisir d’un album avec leur enfant, comment raconter des contes, des choses comme ça. Ce sont des idées à creuse.

 Comment faire pour réunir enfants, parents et enseignants dans une même problématique ? L’AFL y a pensé depuis des dizaines d’années : c’est la démarche de classe-lecture. Pendant trois semaines, nous diront les plus rigoureux, soit dans l’école, soit ail - leurs pour se dépayser et échapper au système, on réfléchit à résoudre un problème qui râpe dans la communauté. On interpelle la communauté en tant que citoyen, et non plus en tant que parent, élève ou enseignant, mais pour produire des savoirs ensemble. Ce dispositif, l’AFL ne demande qu’à l’enrichir avec d’autres. Et on est tout à fait déterminé à ce que cela devienne un outil qui nous permette de nous rassembler. La problématique à laquelle nous sommes confrontés aujourd’hui, c’est que souvent, nous ne nous connaissons pas, nous n’avons pas partagé les mêmes expériences. Donc qu’est-ce qu’on a à se dire, sinon échanger des points de vue ?

 D’autant plus que ce qui peut ressortir des ateliers, c’est le fait qu’il n’y a pas d’exemple et de pratique. La classe-lecture, ça suppose qu’il y ait des enfants. Et si les parents viennent avec leurs enfants, on s’engage à leur faire une classe-lecture ; et que tout le monde puisse ainsi voir, les parents, les enseignants, les interprètes, comment on s’y prend. Ce serait l’occasion d’un véritable échange autour de pratiques très concrètes. Il faut le faire dans un endroit où il est possible de passer un accord avec la bibliothèque municipale. Nous serions vraiment dans un échange entre artisans, entre praticiens confrontant nos pratiques. Il n’y en a pas un qui ferait la leçon à un autre. C’est peu de dire que c’est une bonne idée.

« LSF et leçon de lecture »