Dossier Choisir ses combats !

« Impliquer »

Raymond MILLOT et Albert SOUSBIE

IMPLIQUER, c’est aller à l’encontre d’une conception largement répandue : un système éducatif centré sur l’école, où on maintient les jeunes à l’abri des turbulences de la société pour leur transmettre des connaissances jugées indispensables. Ce parti pris impose d’en préciser l’intérêt et les effets.

Donner à la jeunesse toutes les chances « d’entreprendre quelque chose de neuf, quelque chose que nous n’avions pas prévu », « les préparer d’avance à la tâche de renouveler un monde commun. »

Hannah Arendt

« Impliquer les enfants dans les activités gérées ou soutenues par les collectivités territoriales et particulièrement celles qui inventent des réponses aux changements en cours et à venir ».

Pacte pour une Société éducatrice Décentralisée

La Commission Internationale des Droits de l’Enfant garantit la prise en considération de l’opinion des enfants sur toute question les intéressant (art. 12) https://ncrk-cnde.be/fr/

L’assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a adressé le 13 mars 2009 une recommandation aux états-membres, une recommandation intitulée « Promouvoir la participation des enfants aux décisions qui les concerne ». Elle stipule : « la participation est un droit fondamental du citoyen et les enfants sont des citoyens »

IMPLIQUER,

c’est d’abord reconnaître les enfants et les jeunes comme des personnes à part entière, ayant un rôle à jouer dans la vie de la collectivité. Droits qui leur sont rarement reconnus ; devoirs dont ils ont rarement à rendre compte. C’est faire en sorte qu’ils contribuent – avec leurs questions, leurs doutes et leurs propositions – au vivre ensemble, dans la famille, à l’école, dans leur quartier, y compris quand il s’agit de construire des réponses aux défis auxquels la société se trouve confrontée. Cela suppose, que leurs projets soient pris en considération, qu’ils soient associés à la gestion de leur cadre de vie et des activités collectives, qu’ils contribuent à l’élaboration et à la mise en œuvre des règles de vie.

Dès aujourd’hui, de nombreux domaines se prêtent à l’implication des enfants et des adolescents, selon leurs intérêts et leurs compétences : domaines de la santé, de l’urbanisme et des transports, de l’écologie, de l’économie d’énergie, de la biodiversité, de l’éducation populaire, de la culture, de la solidarité, etc. Des politiques locales soucieuses de démocratie participative devraient donner toute sa place à la jeunesse.

Impliquer la jeunesse dans les affaires de la cité lui permet de développer des qualités telles que l’esprit d’initiative, la réflexion, la créativité, la capacité d’analyse, le sens de l’intérêt collectif et de l’engagement, etc. — et donc d’acquérir des connaissances et des compétences que l’école actuelle néglige ou ignore.

IMPLIQUER,

c’est aussi donner de nouvelles bases aux apprentissages. Il ne s’agit pas seulement de « motiver les élèves », mais de créer les situations nécessaires à la construction du savoir. En étant impliqués dans leur contexte de vie, les enfants et les jeunes se posent des questions, sont confrontés à des difficultés et à la nécessité d’avoir certaines connaissances et compétences pour agir. S’impliquer, c’est passer par des temps d’analyse, d’enquête, de discussion, de confrontation. Il faut comprendre et se faire comprendre, faire valoir son point de vue, imaginer des solutions et s’intéresser aux résultats obtenus, produire des documents, réaliser des objets culturels. Tout ceci nécessite un recours vivant et intensif aux langues orale et écrite, aux techniques audiovisuelles, au calcul, aux cartes, aux schémas, aux modes d’expression artistiques et conduit à se confronter à des notions d’histoire, de géographie, d’économie, de droit...

Ces apprentissages peuvent se faire avec d’autres personnes que des enseignants et aussi bien en dehors qu’au sein de l’école. Il s’agit alors, pour les éducateurs, de saisir les opportunités, d’encadrer les projets entrepris, de veiller au respect des échéances, de débloquer les situations (tout ce qui permet de parvenir à la production attendue), de réguler le travail des groupes, de prévoir les aides à l’autonomie, d’encourager l’aide mutuelle, d’assurer la formation des tuteurs, de responsabiliser les plus compétents par rapport à ceux qui le sont moins (tout ce qui concerne la vie des groupes). Parents, animateurs, responsables de structures d’accueil, de services municipaux, etc. sont concernés chacun à leur niveau et dans leur domaine. La mission et le travail des enseignants s’en trouvent revalorisés : leur rôle spécifique consiste à organiser des théorisations, des exercices d’entraînement, à piloter les recherches. Ils s’occupent donc de grammaire, d’orthographe, de calcul, mais aussi d’histoire, de sciences de la vie, de géographie, d’architecture, d’art, d’écriture, comme de traitement de texte, et de mise en page. Ils ont aussi à prévoir des évaluations, à organiser d’une manière systématique des temps de réflexion sur les actions entreprises, ce qu’elles apprennent, ce qu’elles exigent.

Les productions individuelles et collectives résultant de cette implication, en étant rendues publiques, pourront modifier les conceptions individualistes et fragmentées des apprentissages en même temps qu’elles renforceront la confiance en l’enfant et la confiance de l’enfant en ses propres capacités.

IMPLIQUER,

c’est donc élargir le champ des apprentissages sans pour autant ignorer les besoins contradictoires des enfants : besoin d’autonomie et d’initiative, besoin de protection ; besoin de s’exprimer et besoin de se confronter à des limites. Sans leur donner l’illusion qu’ils sont sur un pied d’égalité avec les adultes dont, pour l’heure, ils dépendent et qui sont également source de savoir. Les enfants, comme les adultes, tirent de leurs expériences des ressentis, des interrogations, des représentations et c’est à partir de ce vécu qu’ils construisent leur pensée. Il est précisément de la responsabilité des adultes de veiller à ce qu’ils ne soient ni surprotégés, ni livrés à eux-mêmes et désarmés face aux réalités de la vie. Les éducateurs doivent leur permettre de faire face à des situations complexes, en accompagnant leurs efforts et les apprentissages nécessaires. C’est en assumant pleinement ce rôle et ces responsabilités que les adultes refondent une véritable autorité.

« Impliquer »