Dossier Des boxeurs(euses) Dans leur tête

« La boxe : La lire dans Le désordre »

Robert CARON

Il faut lire ce dossier comme une des possibilités d’animations proposées aux utilisateurs d’Elsa. Sur un sujet qui est intervenu dans le groupe (comme ici, la boxe) que donner à lire et comment le lire ? Robert Caron propose une « technique » expérimentée dans le Centre Paris Lecture qu’il a dirigé : réunir toutes sortes d’écrits adaptés et trier, classer, analyser, s’approprier singulièrement un sujet à partir des traces laissées par d’autres. On commence par les mots liés à ce sujet et puis on va en chercher la signification dans le dictionnaire : un monde s’ouvre. On cherche ce que la littérature a produit autour du même sujet : un monde se met à vivre. On feuillette la presse etc. Il faut imaginer ce qu’un exercice, ici réalisé par un adulte, peut produire avec des enfants et des adolescents

Je suis toujours un peu intrigué lorsque je me trouve face à des enthousiasmes que je ne partage pas ou très peu. C’est le cas de la boxe. D’un côté, une lecture simpliste, sans doute, où je ne vois pas l’intérêt de deux personnes cherchant à se faire mal. Et de l’autre, des engouements pour ce sport, les combats, les combattants qui vont jusqu’à le qualifier « d’art noble » ! Comment faire le tour de cette énigme ? Comment envisager ce que je n’ai pas encore vu ? Comment passer d’une première impression à une analyse plus fine ? Comment comprendre ce que je ne comprends pas ? J’ai pris le parti, non pas d’accéder à une analyse argumentée de ce sport, mais plutôt d’accumuler une multitude de petits bouts, de détails, de morceaux qui tournent et gravitent autour de ce monde particulier. L’outil qui m’est apparu comme étant le plus approprié pour ce projet est le dictionnaire car il me permet (permettait) de ne pas me laisser embarquer dans une histoire toute faite mais de tenter de lire mon propre désordre...

« Le dictionnaire raconte une histoire sans avoir une suite logique. L’ordre alphabétique n’est pas logique. Ça m’intéressait parce que ça me laissait composer une histoire au hasard. Quand j’ai découvert le roman de Julio Cortázar « Marelle » de nombreuses années plus tard, je me suis rendu compte que cette lecture du dictionnaire m’avait appris à lire dans le désordre. Et d’ailleurs, vous vous souvenez que Cocteau disait que tout livre est un dictionnaire en désordre parce qu’il contient évidemment tous les mots qu’il y a dans un dictionnaire »

Alberto Manguel, « Eloge du dictionnaire »

Et donc, pour la boxe... Je me suis mis à « lire » le « Dictionnaire de la boxe » de André-Arnaud Fourny chez Perrin. « Lire » car approprié d’une certaine manière. Très vite, je constate que cet ouvrage donne une très large place aux boxeurs qui ont marqué l’histoire de ce sport. Donc, je passe très vite sur cette galerie de portraits et m’attarde sur les entrées qui ne sont pas des références de boxeurs. Se construit alors une histoire, un paysage très particulier...

Boxe ou boxes ?

« boxe française » : « Quand vous saurez que la boxe française est communément surnommée et appelée « savate », vous ne regarderez plus jamais du même œil vos pantoufles... plusieurs grandes plumes se sont intéressées de près à l’enceinte (le mot qui nous permet d’éviter l’anglicisme ring !). Citons notamment Théophile Gauthier : « La boxe française est une science profonde qui exige beaucoup de sang-froid, de calcul, d’agilité, de force », ou encore : « La boxe française est un jeu hardi, étincelant, plein d’illuminations romantiques. » Clemenceau l’avait bien compris, en y entraînant ses fameuses « brigades du Tigre » ! Vous ne serez pas non plus étonné par les éloges pleins d’esprit adressés à ce sport de combat par Alexandre Dumas père, le chantre des mousquetaires et autres cadets de Gascogne : « La savate est exactement la même chose que la boxe, excepté que c’est tout le contraire », tandis qu’il tenait Charles Lecour – le concepteur de la boxe française contemporaine – pour un « homme de génie ». [...] Les techniques admises sont très sophistiquées et limitées par des règles de bienséance, seuls les coups armés étant autorisés. Cela est essentiel dans l’usage des pieds, d’où l’appellation de « boxe pieds-poings ». La boxe française savate étonne généralement par sa finesse, le fair-play et même le savoir-vivre qu’elle impose à ses pratiquants, lesquels sont aujourd’hui plus de 50000 en France ! Et si vous souhaitez démultiplier vos sensations, sachez que la boxe française connaît plusieurs disciplines annexes : la savate forme, la savate bâton défense et, surtout, la canne de combat pour les amateurs d’escrime ! » [1]

« boxe anglaise » : « Faut-il vraiment présenter le boxing à l’anglaise qui, sans surprise, a profité de la prédominance du monde anglo-saxon pour se répandre sur l’ensemble du globe ? Ce succès et sa – relative – facilité du côté des règles lui ont valu le surnom de « noble art » : quel combattant dans l’âme ne souhaiterait devenir champion du monde de boxe ? Cette boxe anglaise a d’ailleurs l’honneur de figurer parmi les disciplines olympiques. Il s’agit à l’origine d’une codification de combats plus ou moins clandestins et barbares organisés outre-Manche par les bookmakers – la propension des Britanniques à parier sur tout ou sur rien est célèbre... Des premiers boxeurs de rue improvisés qui ne se faisaient pas de quartier, on est passé à une première forme réglementée de boxe anglaise, qui mettait définitivement fin au pugilat sauvage, faisant trop de dégâts. Et même trop de morts, puisque c’est un homicide involontaire sur le ring qui poussa le champion Jack Broughton à se poser au XVIIIe siècle les bonnes questions. »

Différences ? : La boxe anglaise n’autorise que les coups de poing alors que la boxe française utilise aussi bien les poings que les pieds. De plus, les coups sont uniquement portés au-dessus de la ceinture en boxe anglaise. En boxe française, par contre, il est permis de viser les jambes. L’idée maîtresse de ces deux boxes reste toutefois de battre son adversaire sur le ring, soit aux points, soit par KO selon les compétitions. À noter par ailleurs que la boxe française et la boxe anglaise partagent de nombreux coups identiques, dont l’uppercut et le swing.

La boxe et le poids...

Je ne sais pas si d’autres sports se sont amusés à créer des « catégories » de poids (sans doute), mais surtout à leur donner des noms burlesques : on connaît les « lourds » (plus de 90,718 kg, remarquez la précision) et on en déduit l’existence des « légers » (moins de 61,235 kg). Mais ces mêmes « légers » peuvent se trouver en variations dans « super-légers » (moins de 63,503 kg) et même en belle contradiction dans « lourds-légers » (moins de 90,718 kg). Mais il y a aussi des termes exotiques comme « mouche » (et sa moitié « mi-mouche » ou encore « super-mouche »), « coq » (et « super-coq »), « plume » (et « super-plume »)... Et puis il y a « légers » (comme si les autres ne l’étaient pas) à rapprocher de « lourds » ou « moyens ». Et une énigme : les « welters » ! En tout 17 catégories. « La multiplication des catégories permet de réduire le poids entre deux boxeurs s’affrontant et surtout, aux fédérations, d’organiser davantage de championnats ». Et si une catégorie ne mobilise pas de spectateurs, on supprime le championnat. Pour ma part, ma préférée, parce que jamais rencontrée est celle des « pailles » (qui est la plus légère : moins de 47,627 kg). Il est vrai qu’au club, dire qu’on boxe en « paille », ça ne doit pas faire le poids. Du côté des titres de « champions », c’est un peu la cacophonie : « Les titres de champion du monde aujourd’hui (quatre champions différents par catégorie) n’ont pas la même valeur que ceux du passé, lorsqu’il n’y avait généralement qu’un champion par catégorie (il n’existait aussi que huit catégories, contre dix-sept maintenant). » Allez y comprendre quelque chose !

La boxe, ses objets...

Le premier (dans l’ordre alphabétique) est la « ceinture ». Ses origines sont mystérieuses. Mais il semble bien que ce soit un magazine sportif qui lance cette mode (« Depuis 1927, le mensuel américain The Ring attribue une ceinture à celui qu’il considère comme le véritable champion du monde de chaque catégorie. »). La boxe se distingue des autres sports qui eux, pour la plupart, en sont restés à des médailles ou des coupes...

Il y a aussi la « coquille » qui, à ses débuts était en aluminium, sans doute pas très confortable. Les « gants » remplacent les mains nues pour éviter les blessures (ne pas boxer est sans doute le meilleur moyen de ne pas se blesser !) et « Depuis une trentaine d’années, le pouce est attaché au gant afin de mettre fin aux coups de pouce dans l’œil. ». Mais à ses débuts : « Le dernier championnat du monde à poings nus s’est soldé par la victoire de John L. Sullivan sur Jake Kilrain en 75 rounds (136 minutes) en 1889 à Richburg (Mississippi). Les combats à poings nus continueront jusqu’en 1895. »

Un « gong » annonçant le début et la fin de chaque round fut utilisé pour la première fois lors du championnat du monde des lourds en 1892. Encore un objet bien spécifique à ce sport !

Le « protège-dents » « doit avoir un trou afin de laisser passer la salive et l’air » et il était urgent de trouver une solution car « Quand Jack Johnson met K.O. Stanley Ketchel (1909), on retrouve deux dents de Ketchel dans le gant de Johnson. »

Le « ring » : « Contrairement à ce que suggère son nom, le ring (« anneau ») n’est pas rond, mais carré. » ça je savais... Par contre, j’ai découvert que « les puncheurs préfèrent les petits rings et les stylistes les grands, où ils ont plus de place pour exprimer leur mobilité. »

Mais la présence de ces protections n’empêche pas la « Démence pugilistique » : « Décrite pour la première fois en 1928 par un médecin légiste, le docteur Harrison Stanford Martland, dans le Journal of the American Médical Association. L’encéphalite traumatique des pugilistes (ou démence pugilistique) est due à la multiplication de chocs importants du cerveau. Ceux-ci peuvent entraîner la perte de connexions neuronales, la mort des neurones et la dégénérescence du tissu cérébral. Ces tremblements, mouvements lents, difficultés d’élocution et troubles de la mémoire, qui rappellent les maladies de Parkinson et d’Alzheimer, se retrouvent notamment chez les anciens pratiquants de sports de contact comme la boxe, le football américain, le rugby et le hockey sur glace. Sur 224 ex-boxeurs pros examinés de 1929 à 1955 en Angleterre, 11% souffraient de problèmes neurologiques modérés, 6% de problèmes neurologiques sévères. »

Des passionnés de boxe...

Il y a bien sûr Charlie Chaplin qui réalise deux films mais assiste aussi aux grandes réunions et se lie d’amitiés avec plusieurs boxeurs. Jean Cocteau a une liaison avec un boxeur avant de lui préférer Jean Marais. Alain Delon, interprète de boxeur (dans « Rocco et ses frères ») mais aussi organisateur de combat de championnat du monde. Patrick Dewaere, boxeur lui-même, poussé par Depardieu en viendra à interpréter Cerdan dans « Edith et Marcel ». Jean Gabin assiste à toutes les grandes rencontres et inscrit la boxe dans trois de ses films. Jack London, auteur de quatre nouvelles sur la boxe a aussi écrit des reportages pour des journaux. Mais, surprise : « Lorsque Johnson devint le premier Noir champion du monde des lourds, ses articles incitèrent l’ex-champion James Jeffries à sortir de sa retraite pour affronter Johnson, car London estimait que le titre devait être détenu par un Blanc. » 5. Mickey Rourke, en plus du cinéma, « affirme avoir disputé 30 combats amateurs (27 victoires, 3 défaites) entre 12 et 21 ans. De 1991 à 1994, il livre 8 combats pros : 6 victoires, 2 nuls. »

Autour du boxeur...

« Entraîneur » et « Managers » : « Aux États-Unis, les entraîneurs ne sont généralement pas managers, alors qu’en France comme dans beaucoup d’autres pays, ils sont les deux. » [...] « À l’aube du noble art, les boxeurs dépendent souvent d’un patron, d’un employeur. Les managers apparaissent à la fin du XIXe siècle. » [...] « Aujourd’hui, les plus grands champions se managent eux-mêmes. Avec la disparition des managers, les boxeurs moins réputés n’ont plus que leur entraîneur pour défendre leurs intérêts. »

« Organisateur » : « Les combats sont organisés par des clubs, des organisateurs professionnels ou occasionnels »

Et puis, la « pègre » : « Dans les années 1940 et 1950, le monde criminel, à travers Frankie Carbo et Blinky Palermo, met la main sur la boxe américaine, se rendant coupable de combats truqués (pour favoriser ses boxeurs, organiser des revanches lucratives ou gagner sur les paris) et d’exploitation des boxeurs qui ne reçoivent qu’une petite partie de leurs bourses. »

Avec toute cette « faune », ces intermédiaires, il ne faut pas s’attendre à ce que le boxeur finisse dans l’opulence.

Boxe et littérature...

« De nombreux récits antiques évoquent des combats de pugilat (ancêtre de la boxe) : dans le livre XXIII de L’Iliade, Homère (VIIIème siècle avant J.-C.) décrit l’affrontement entre Épéios (inventeur du cheval de bois qui permit aux Grecs de gagner la guerre de Troie) et Euryale lors des obsèques de Patrocle vers 1100 ans avant J.-C. ; les Idylles de Théocrite (315-250 av. J.-C.) racontent le combat entre Pollux et Amycos ; les Tusculanes de Cicéron (106-43 av- J.-C.) ; L’Enéide de Virgile (70-19 av. J.-C.)... Plus près de nous, dans L’homme qui rit (1869), Victor Hugo décrit un combat à poings nus particulièrement sanglant entre un Irlandais et un Écossais. Avant la guerre de 1914-1918, les combats parisiens ont pour spectateurs Colette, Guillaume Apollinaire, Biaise Cendrars ou Francis Picabia. Membre de l’Académie française, Henry de Montherlant écrit un poème sur la boxe dans Les Olympiques (1924). Le Brésilien Jorge Amado commence Bahia de tous les saints (1935) avec un combat entre le héros Antonio Balduino, champion local qui incarne la peine et les rêves des Noirs, et un Allemand. Membre de l’Académie française, Paul Morand évoque la boxe dans Fermé la nuit (nouvelle, 1923) et Champions du monde (1930). Plusieurs fois citée pour le prix Nobel de littérature, l’Américaine Joyce Carol Oates, passionnée de boxe depuis son enfance, écrit De la boxe (1988). L’écrivain-diplomate Daniel Rondeau fait partager sa propre expérience dans Boxing Club (prix Jules Rimet 2016, Grasset). De très nombreux romans policiers ont pour thème la boxe, dont On n’en meurt pas, de Frédéric Dard (1971). Elle est très présente dans l’œuvre des Américains Charles Bukowski et James Ellroy. L’écrivain américain Norman Mailer couvre pour la presse les championnats du monde des lourds Frazier-Ali (il en fera un essai, King of the Hill) et surtout Foreman-Ali, dont il tirera un livre, The Fight (1975 ; en français Le Combat du siècle). L’écrivain et poète américain Nick Tosches a écrit une biographie de Sonny Liston, Night Train (2000). S’inspirant de la passion pour la boxe de son père, Guy Bolet écrit Quand Dieu boxait en amateur (Grasset) sélectionné pour le prix Goncourt (2018). »

Boxe et dominé(e)s

« Boxe féminine ». « Dès 1722 en Angleterre, des combats féminins sont organisés. Le 11 mars 1914, Léon Sée demande au préfet de police de Paris, dans son éditorial de l’hebdomadaire La Boxe et les Boxeurs, d’interdire les combats de femmes qui commencent à avoir lieu. Lequel préfet, M. Hennion, lui répond que son administration n’autorisera jamais les combats féminins. Dans le journal L’Auto, une publicité annonce néanmoins le « championnat du monde de boxe féminine le 11 avril 1914 et jours suivants » au Casino de Paris avec miss Dickson, champion (!) du monde, Ninon Peters, champion (!) de France, Little Youyou, Carmen Pickaart... Le 11 juin 1989 à Savigny-sur-Orge, une réunion (11011 reconnue par la Fédération française de boxe) se déroule avec uniquement des combats féminins. La boxe féminine ne sera officiellement autorisée en France qu’en 1997 pour les amateurs et en 2000 pour les professionnelles. La première femme à diriger une fédération de boxe fut Dommys Delgado Berty, présidente (1986-1988) de la commission de boxe de Porto Rico. »

Et une autre source plus parlante : « La femme qui met K.-O. les préjugés sexistes » 6 (L’Humanité, Jeudi, 24 Novembre, 2016, Mina Kaci) « Médaillée d’argent aux JO de Rio, la boxeuse Sarah Ourahmoune a décidé de mener un autre combat : celui contre le sexisme. Une réalité qu’elle a vécue dans et autour des rings, comme elle le rappelle à la veille de la Journée internationale de lutte contre les violences faites aux femmes. » [...] « À 34 ans, elle se souvient de la première fois où, adolescente, elle est entrée dans la salle de boxe « impressionnante », après avoir sillonné, son guide des sports à la main, les gymnases de la commune d’Aubervilliers, en Seine-Saint-Denis. « J’avais fait du judo et du taekwondo. Je voulais pratiquer les arts martiaux. Pour moi, la boxe, c’était l’image de Rocky. » Ce même visage ensanglanté et défiguré de l’acteur Stallone hante sa mère, qui tente de l’en dissuader ; son père la met face à ses responsabilités : « Tu as choisi, tu ne viendras pas pleurer... » Sarah surmonte son angoisse, se déleste de son appréhension, suit son premier entraînement dans cette salle qu’elle ne quittera plus. La débutante n’est même pas intimidée quand, aux cours du soir, elle se retrouve la seule fille face à une soixantaine d’hommes. Elle se bouche les oreilles quand fusent les réactions sexistes, « pas méchantes », du genre : « À côté, on propose de la gym... » Elle laisse dire, reste motivée et s’entête à faire ses « preuves », en travaillant davantage « qu’eux », en tentant de montrer qu’elle en est « capable », alors « qu’eux n’ont pas d’obligation à le faire ». Sa résistance et son assiduité aux entraînements finissent par banaliser sa présence dans ce monde d’hommes. Mais il a fallu que l’adolescente se lance dans les combats pour qu’apparaisse le respect à son égard. « La plupart participaient seulement aux entraînements », précise-t-elle. [...] Un long processus et une victoire, qui a éclaté aux yeux de la France en cet été 2016, à Rio. Sarah Ourahmoune et sa camarade Estelle Mossely, médaillée d’or, déjouent codes, préjugés et autres normes sociales. Originaires de banlieues populaires, ces deux femmes aux identités multiples sont devenues des pionnières, servant de modèles aux nombreuses filles qui osent désormais pousser la porte des salles de boxe. « Alors que je pensais avoir seulement assouvi mon rêve d’enfant, je me rends compte que j’ai, avec Estelle, changé le regard sur ce sport plutôt masculin et connoté “quartiers populaires”. Les gens ne s’attendaient pas à voir des boxeuses qui aient fait des études, aient des métiers valorisants et sachent bien parler... » sourit Sarah, diplômée en Sciences-Po, aujourd’hui entrepreneuse. »

« Homosexuel ». « Le Portoricain Orlando Cruz devient le premier grand boxeur en activité à révéler son homosexualité (2012). Il a alors 31 ans, figure parmi les meilleurs plume mondiaux professionnels et a disputé les Jeux olympiques de 2000 (Sydney). Avant ce coming-out, Peter Griggs, l’un des fondateurs du San Francisco Gav Boxing Club, a écrit et joué dans la pièce de théâtre Killer Queen : The Story of Paco the Pink Pounder, l’histoire d’un boxeur homosexuel (2011). Dans les années 1930, le Panaméen Al Brown, champion du monde des coq, fut réputé être l’amant du poète Jean Cocteau. »

« Ségrégation raciale ». « Au moins jusqu’aux années 1950, les boxeurs noirs ne disputent pas les championnats qu’ils méritent. D’abord à cause du racisme de l’époque, ensuite parce que les organisateurs estiment qu’un combat avec un Noir génère de moins grosses recettes. Beaucoup de Noirs capables de s’emparer d’un titre mondial ne sont jamais opposés aux champions. Détenteurs du titre mondial des lourds, les Américains John L. Sullivan, James J. Jeffries et Jack Dempsey refuseront de le défendre contre un Noir. Ce comportement raciste leur permet aussi d’éviter un challenger dangereux : Peter Jackson aurait pu battre Sullivan et Harris Wills dominer Dempsey. Certains États américains interdisent les combats entre Blancs et Noirs (le Missouri mettra fin à cette loi en 1936). Le Noir sud-africain Andrew Jeptha était champion de Grande-Bretagne des welters en 1907, mais à sa création, en 1929, la fédération professionnelle britannique empêche les « hommes de couleur » de disputer le championnat de Grande-Bretagne. Elle lèvera son interdiction, non écrite, en 1947. L’année suivante à Birmingham, Dick Turpin, métis, s’empare du titre des moyens contre Vince Hawkins devant 40 000 spectateurs (son frère Randy Turpin sera le premier « homme de couleur » à devenir champion de Grande-Bretagne amateur en 1945). Le premier champion du monde noir fut le Canadien George Dixon (1890, coq). Le premier championnat du monde entre deux Noirs opposa les lourds américain Jack Johnson et Jim Johnson (1913, Élysée-Montmartre, Paris). Le deuxième n’aura lieu qu’en 1939 avec Joe Louis et John Henry Lewis (lourds). L’Américain Zack Clayton est le premier Noir à arbitrer un championnat du monde (lourds Joe Walcott-Ezzard Charles, 1952, Philadelphie). Jusqu’en 1979, des championnats d’Afrique du Sud existent pour Blancs ou Noirs, en plus de championnats mixtes. Dans le livre In the Corner, de Dave Anderson (New York, William Morrow, 1991), l’entraîneur américain blanc Ray Arcel raconte ses difficultés, lors de la ségrégation raciale aux États-Unis (ayant sévi jusqu’en 1967), pour trouver des hôtels décents où descendre avec ses boxeurs noirs, des restaurants et des lieux d’entraînement, y compris pour l’ex-champion du monde Ezzard Charles. Sur l’affiche du combat Ray Robinson-Bernie Miller (1947, Dorsey Park Arena, Miami), il est écrit : « Moitié du parc pour les Blancs, moitié pour les gens de couleur ». En Allemagne, dans les années 1930, les lois nazies frappèrent Juifs et Tsiganes. » Mais du côté de la France, les choses ne sont pas plus brillantes. Une petite histoire en exemple exemplaire [2] : « Le 24 septembre 1922, Georges Carpentier, le champion français le plus populaire de ce début de 20e siècle affronte un ancien boxeur de foire, le dangereux Sénégalais Louis Phal dit Battling Siki pour le titre de champion d’Europe. [...] Battling Siki, boxeur sénégalais au passé trouble, il aurait quitté Saint Louis du Sénégal à huit ans, enlevé par une danseuse néerlandaise. Débarqué à Marseille, il découvre rapidement la boxe avant de s’engager comme tirailleur dès 1914. La guerre terminée, il reprend sa carrière de boxeur avec un succès relatif. Longtemps, les préjugés racistes de l’époque lui interdisent toute chance mondiale, les boxeurs blancs rechignant à affronter leurs homologues de couleur. [...] Siki a battu le plus grand champion français du siècle et pourtant, c’est une cabale médiatique qui s’abat sur lui. Tout le monde, y compris le manager de Siki, a sa petite explication pour justifier l’incroyable défaite. Ce dernier explique la victoire de son boxeur par son appartenance à la race des Orangs-Outangs. Les pontes de la Fédération avancent une autre hypothèse tout aussi douteuse : Siki aurait gagné grâce à un mystérieux talisman, et finissent par lui retirer ses titres pour comportement extravagant. Un demi siècle plus tard, le vaincu, reviendra lui aussi sur l’affaire. Dans son livre, Mes 80 rounds, Georges Carpentier expliquera que Siki, terrifié à l’idée de l’affronter, lui aurait arraché la promesse de ne pas trop lui faire mal avant de le surprendre par maladresse : Il a un réflexe naturel de défense. Il lance un swing presque en fermant les yeux (...) et je reçois le swing au menton. [...] Autrement dit, le discours dominant cherche à dévaloriser la performance de Battling Siki en présentant sa victoire comme un accident survenu lors d’un simulacre d’affrontement. Habile manœuvre pour protéger le legs de Carpentier et occulter les leçons raciales à tirer d’un tel résultat. Si Battling Siki est traîné dans la boue par l’écrasante majorité des plumitifs, quelques voix se font entendre, à contre-courant. La plus étonnante : celle d’Hô Chi Minh, jeune étudiant en droit à La Sorbonne. Le futur héros de l’indépendance vietnamienne écrit dans une feuille militante : Depuis que le colonialisme existe, des Blancs ont été payés pour casser la g... aux Noirs. Pour une fois, un Noir a été payé pour en faire autant à un Blanc. Adversaire de toute violence, nous désapprouvons l’un et l’autre procédé. Mais le fait est là, nous n’avons qu’à le constater. Constatons. D’un coup de poing – sinon scientifiquement envoyé, du moins formidablement placé – Siki déplaça Carpentier de son piédestal pour grimper dessus lui-même (...). »

Conclusion

Plus qu’un sport, la boxe est un monde. Pas toujours très recommandable mais on ne peut que constater la fascination qu’il exerce. Du côté de la violence : « Dans le ring, il y a un arbitre pour arrêter le combat si un combattant risque d’être trop blessé. La boxe n’a rien à voir avec la guerre et ses mitrailleuses, ses bazookas, ses grenades et ses bombardiers. » (Mohammed Ali ou Cassius Clay) Du côté du sexisme : « Ça fait les hommes, la boxe, affirme sa mère. Tout comme la gnôle, les tranchées, l’enclume, ou le pas de l’oie. C’est pour ça qu’elle l’a inscrit au club, afin qu’il entre, en costaud, dans le troupeau des mâles, qu’il accède à l’âge adulte en gentleman couillu. » (Guy Boley, « Quand Dieu boxait en amateur ») Mais on peut aussi en rire : « Pourquoi dit-on que la boxe est le plus dur de tous les sports, alors qu’en fait c’est juste un coup à prendre ? » (« Mots et Grumots » (2003) de Marc Escayrol) « La boxe est un sport très fruité : quand tu te prends une pêche en pleine poire, tu tombes dans les pommes et tu ne peux plus ramener ta fraise. » (Gustave Pie, « Aphorismes et autres pensées »)

« La boxe : La lire dans Le désordre »

[2►« Voir le texte « La controverse Carpentier/Siki : racisme rampant et réécriture de l’Histoire » (https://www.cultureboxe.com/la-controverse-carpentiersiki-racisme-rampant-et-reecriture-de-lhistoire/)