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« Hector Malot, le roman comme témoignage »

Lu par Yvanne CHENOUF

HECTOR MALOT, LE ROMAN COMME TÉMOIGNAGE, SOUS LA DIRECTION DE NICOLAS COUTANT ET AGNÈS THOMAS-VIDAL, ÉDITIONS DES FALAISES, 2016,120 p., 15€

Cet ouvrage, publié à l’occasion de l’exposition « Hector Malot, le roman comme témoignage », qui s’est tenue, à Elbeuf, à la Fabrique des Savoirs (du 16 décembre 2016 au 21 mai 2017), rend hommage à une figure illustre de la scène littéraire du 19ème siècle, un auteur « polygraphe » injustement resté dans la mémoire collective comme un écrivain pour la jeunesse (Sans famille, En famille, Romain Kalbris). Magnifiquement illustré et bien documenté (photographies, cartes, plans, reproductions de peinture...), cet ouvrage grenat et bronze, au format carré, allie l’élégance des maquettes modernes aux images d’un siècle passé.

Au cours de cinq articles réunis par Nicolas Coûtant (directeur adjoint du Musée national de l’éducation) et Agnès Thomas-Vidal (secrétaire de l’association des Amis d’Hector Malot), on parcourt la vie familiale, intellectuelle et sociale d’un homme aussi profondément attaché à sa région (une Normandie en pleine évolution industrielle et touristique) qu’attire par l’ailleurs (amateur de marche à pied et de voyages en train, il se déplace un carnet à la main autant pour assouvir sa curiosité que pour entretenir son corps). Observateur du réel, cet écrivain-journaliste prend des notes avec la conscience d’un herboriste qui se consacre au portrait d’une société en pleine mutation ancrée dans un terroir peint par Sisley et l’âme d’un « antiquaire » partagé par « le souci de garder trace des choses qui disparaissent et un certain sentiment de supériorité à l’égard d’une société toujours en retard sur Paris ». Faisant partie des auteurs les plus lus de sa génération, il s’intéresse avec probité aux thèmes sociaux qui déchirent l’actualité (la justice, la guerre, le statut de la femme et la place de l’enfant dans la société) tout en développant une imagination de conteur aux souvenirs des aventures de Vikings qui l’assaillent lorsque, face aux forces naturelles de l’océan, il songe aux contrées dangereuses de l’autre côté de la houle. Soutenu par ses amis (dont Jules Vallès) et par sa mère au tempérament romanesque, il se fâche avec son père avec lequel il ne partage pas les idées politiques, quitte les études juridiques pour le journalisme et la littérature.

Son écriture sobre, parfois humoristique, accumule les détails sur la psychologie humaine et les problèmes sociaux « comme s’il participait à l’histoire ». Mais, s’il se préoccupe des dysfonctionnements de son époque, il laisse aussi transparaître sa sensibilité en s’attardant sur les paysages normands lus et relus à l’occasion de ses marches : « La faune et la flore, les prairies, les courants d’eau ainsi que les bois et la vallée sont dessinés en fonction des saisons. » Son œuvre touffue est le produit d’un « esprit attentif et sincère » écrira de lui Hyppolyte Taine. S’il use de son talent de documentaliste, c’est pour le mettre au service d’un univers fictif dans lequel il mêle des données disparates comme « un visionnaire qui donne corps à un univers fictionnel, c’est-à-dire ni vrai, ni faux, un monde possible qui lui est propre. », à la manière d’un « Balzac avec Tours, de Flaubert et Rouen, ou encore de Zola pour Aix-Plassans ».

En feuilletant ce « catalogue » luxueux, en s’attardant sur les images et en lisant ces articles extrêmement documentés, on se prend d’affection pour cet homme qui apprenait à connaître le réel avant de l’enrichir, cherchait à décrire précisément les mécanismes du progrès et du déclin industriel pour délivrer le cours des vies humaines de tout aveuglement. En abordant les adaptations de Sans famille (quatre au cinéma, des transpositions pour le cinéma d’animation et la télévision), le dernier article montre la vivacité de ce roman et la richesse de sa réactivité sous le regard de réalisateurs différents qui ont gardé de l’œuvre deux grands symboles universels : la route, gage de la liberté de mouvement (de la liberté tout court), les tréteaux, espace d’émancipation par l’art (musique, chant, acrobatie...).

« Hector Malot, le roman comme témoignage »