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« Empêchez-les de lire ! »

Serge HERREMAN

« Et voilà pourquoi votre fille est muette ! » [1]

Selon certain.e.s expert.e.s et sciencé.e.s,
Comme, de toute évidence, depuis la nuit des temps, il faut en baver pour créer, il faut souffrir pour retenir ! Les étudiant.e.s doivent s’en convaincre qui se voient obligé.e.s de mémoriser tant de cours...
Bref, il faut ce qu’il faut !

Selon les mêmes expert.e.s et sciencé.e.s,
On lit trop vite et on oublie...
On-oublie-parce-qu’on-lit-trop-vite !
On lit donc sans retenir...
CQFD (ce qu’il fallait définitivement démontrer) :
Lire trop vite empêche de retenir.
« Et voilà pourquoi votre fille est muette ! »

Or donc, toujours selon ces mêmes etc.,
Comprendre impose la lenteur...
Mémoriser nécessite la douleur...
Retenir suppose que l’on accepte... une difficulté désirable.
CQFDD (ce qu’il fallait définitivement démontrer) :
Retenir suppose... la difficulté désirable de lire ce que l’on doit mémoriser.

Les expert.e.s le sont en typographie. Les sciencé.e.s ont pour domaine la psychologie cognitive. Ensemble, ces personnes-là ont imaginé un outil-solution !

Et la solution est... une police de caractères téléchargeable gratuitement et même compatible avec PC et Mac ! Son nom ? Sans Forgetica.

Laissons « l’équipe multidisciplinaire de concepteurs et de scientifiques du comportement de l’Université ouverte d’Australie RMIT » [2] présenter ce petit bijou : Sans Forgetica est une police conçue à l’aide des principes de la psychologie cognitive pour vous aider à mieux vous souvenir de vos notes d’étude. Sans Forgetica est plus difficile à lire que la plupart des polices de caractères et cela, par conception. La « difficulté souhaitable » que vous rencontrez lors de la lecture d’informations formatées dans Sans Forgetica incite votre cerveau à se lancer dans un traitement plus approfondi. » [3]

« Tu es belle, si belle que te regarder est une souffrance ! »

La voici la police miracle :

Les lettres, comme on peut le découvrir, sont partiellement effacées, avec des blancs par endroit. Elles penchent vers la gauche, donc vers l’arrière. Ces petites différences obligent le « lecteur » à passer un peu plus de temps sur chaque mot. Cela est bien évidemment voulu : il s’agit d’améliorer la rétention de l’information, selon, rappelons-le, le concept de « difficulté désirable » pour aider à la mémorisation.

Vous avez bien compris (les concepteurs) ? Lisez plus lentement que diable ! Résumons-nous, pour être bien clair : Lire vite empêchant de mémoriser et de comprendre, il est indispensable de freiner la lecture. Mais pas seulement. Il faut la rendre suffisamment difficile pour que s’arrêtant davantage aux mots, on s’approprie ce qu’il faut retenir. Oui, oui, cela passe par une souffrance. Mais une souffrance désirable !! « Tu es belle, si belle que te regarder est une souffrance ! » [4]

Ainsi cette police est une excellente initiative, une réalisation novatrice et les étudiant.e.s en sauront gré, sans aucun doute, à RMIT et à son équipe de pointe.

Empêcher de lire ?

Maintenant, « lisez » une fois :

Relisez plusieurs fois.

Vous pensez avoir du mal à lire ?

Vous ne pensez pas que même si vous avez du mal à lire maintenant (ce dont je doute), votre cher cerveau de vrai lecteur s’y habituant vous allez, très rapidement, finir par lire en Sans Forgetica aussi facilement qu’avec des polices Arial ou Times New Roman ? [5] Il va falloir trouver autre chose pour empêcher les gens de lire !

[1Le Médecin malgré lui, Jean-Baptiste Poquelin, dit Molière

[2Institut Royal de Technologie de Melbourne

[3Site du RMIT

[4Le dernier métro, François Truffaut

[5Plus facile à lire que l’orthographe rectifiée ch.e.è.r.e.s am.i.e.s ?