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« Un portrait qui parle de lecture »

Albert SOUSBIE

GLOBALEMENT INFLEXIBLE : Sous ce titre, le Monde a fait récemment paraître un portrait de Jean Foucambert [1]. À travers l’homme et sa vie, dont on peut estimer le récit intéressant, sont abordées les orientations et les réalisations de l’AFL. L’article n’évoque pas - c’est sans doute son grand défaut - l’urgente nécessité de continuer dans la même voie de promotion de la lecture, dont il évoque pourtant les différentes dimensions. Plusieurs membres de l’association ont spontanément réagi en privé ou sur des blogs, éclairant à leur tour le fait que l’affaire ne se résume pas, à l’instar de l’histoire de Jean Foucambert, a une « histoire de globale », c’est-à-dire aux querelles de méthodes. Confronter ces réactions à chaud aux propos du journaliste permet de faire un tour d’horizon de ce que pourrait et devrait être une politique de lecture et, plus globalement, une politique d’éducation démocratique.

« Dommage que l’auteur de l’article — écrit une enseignante retraitée impliquée dans la vie d’un village — n’ait pas encarté les résultats en lecture des écoliers français actuels ! Il aurait pu aussi aller faire un petit tour auprès d’un certain nombre de maires ou d’élus de petits villages. Il pourrait constater combien ils sont handicapés quand ils doivent faire du sens avec les dossiers qu’ils reçoivent des techniciens de leurs nouvelles grandes communautés de communes. Et pourtant, ils sont tous allés au moins 15 ans à l’école et n’ont pas appris à lire avec la méthode globale, ni même avec la voie directe. »

L’article illustre bien l’approche idéovisuelle de la lecture, défendue aujourd’hui par l’AFL sous le nom de voie directe. Il le fait en évoquant l’enfance de Jean Foucambert qui « vit au côté d’enfants sourds pour qui l’écrit est, forcément, un symbole détaché de l’oralisation. Et qui apprennent quand même. » Comme le souligne avec humour une autre adhérente de l’association : « Ils n’ont que leurs yeux, non pour pleurer, mais pour lire vraiment. » Luc Cedelle, qui signe l’article, semble s’étonner de la suite : « Jean Foucambert, qui ne changera jamais d’avis sur ce point, va alors jusqu’à proscrire l’enseignement du « code », jugeant que l’enfant n’en a pas besoin, puisqu’il accumule à toute vitesse la reconnaissance globale,« idéovisuelle » donc, de nouveaux mots, à la manière dont les Chinois apprennent des milliers d’idéogrammes. »

Il aurait été intéressant de préciser que le chercheur n’a jamais été seul. Enseignants, bibliothécaires, formateurs, responsables syndicaux ou politiques partageaient les mêmes analyses. Comme le rappelle un autre correspondant, « pendant plus de 40 ans, Jean Foucambert et les militants de l’AFL. ont imaginé, décrit, défini et mis en place des situations d’apprentissage. » Une longue recherche-action collective, où on acquiert des savoirs en théorisant de l’expérience. On le voit avec les écoles expérimentales que Foucambert a animées à l’INRP, où on approfondit l’idée d ’« enseignement en cycles pluri-annuels, où on cultive « l’école ouverte » sur la vie, les gens et les métiers ».

Ce rapport (dialectique ?) entre le vécu et la réflexion vaut autant pour les enfants que pour les adultes. Luc Cedelle le relève dans une formule : « on apprend ensemble parce qu’on est dans un environnement social qui a besoin qu’on sache ». On le voit dans le texte du Monde, avec les classes Monod que Foucambert a fréquentées au collège : « aucun enseignement disciplinaire, l’essentiel se passe à l’extérieur pour des travaux de recherche ». On le voit dans la façon dont, instituteur, il conduisait sa classe : « C’est en balisant, dans un champ, les vestiges d’une villa gallo-romaine que les enfants apprennent les maths. »

Il en va de même pour la lecture. L’action pour favoriser son apprentissage englobe et dépasse les aspects purement techniques. Des le début, il s’agit d’« impliquer les enfants dans leur environnement parmi les acteurs qui lisent. Et les faire bénéficier de l’étayage technique, coopératif, affectif, productif, culturel nécessaire pour y parvenir. » [2] Les savoirs faire techniques ne sont pas des outils dont on se dote pour plus tard : leur appropriation est lice à l’usage qu’on en fait. Or Luc Cedelle les évoque à part, en se limitant au parallèle avec la mémorisation des pictogrammes chinois. Il renvoie ainsi à une vision courante de la méthode globale, bornée à la reconnaissance mal expliquée d’une immense liste de mots. Cela répond sans doute aux représentations du lectorat du Monde, dont il faut susciter l’intérêt. Un article de presse reflète l’état de l’opinion à laquelle il s’adresse.

Le journaliste oppose cependant avec clarté « l’alphabétisation, fabriquant des élèves déchiffreurs, et la lecturisation, seule capable de faire de vrais lecteurs accédant au sens et à la culture. ». Il faudrait aussi parler de la déscolarisation des apprentissages — qui doivent se faire avant tout sur les lieux de vie. Et bien sûr, de la reproduction des inégalités dans l’accès aux savoirs. La pédagogie rejoint ici le social et le politique. La diversité des champs que cette approche, portée par l’AFL, met en relation est assez bien illustrée par liste des premiers opposants à Foucambert — cités dans l’article : inconditionnels de la tradition scolaire, adversaires politiques, chercheurs hostiles à la politisation des questions lices à la lecture, et même ceux qui, bien qu’en accord avec sa quête de l’enseignement du « sens », pensent qu’en proscrivant le « code », il va trop loin.

L’association est aujourd’hui engagée, rappelle Luc Cedelle, dans une recherche-action avec le département de Seine Saint Denis. Sous l’impulsion, encore, de son premier inspirateur. Les pesanteurs sont pourtant plus lourdes que jamais, dans le climat actuel. Ne baisse pas les bras, camarades...

« Un portrait qui parle de lecture »

[1Le Monde du 18 mars 2019

[2« On ne fera pas la paix en regardant simplement Guernica », Jean FOUCAMBERT, A.L. n°140, déc 2017