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« Langages 3 notes. 3 notes autour d’une réflexion sur les langages »

Gilles Dowek dans Libération [1]

Chercheur à l’Institut national de recherche en informatique et en automatique (Inria), Gilles Dowek est également professeur à l’école normale de Paris-Saday. Dans Libération du 22 mars, il est interrogé, sur les liens entre langages (mathématique, musique, informatique) et langue parlée. Pour lui, les premiers sont toujours écrits. Ils permettent de « décrire et de formaliser des connaissances de manière beaucoup plus précise et plus efficace qu’avec l’utilisation d’une langue ».

Exemple avec le langages des ophtalmo : « OD : -1,25 (0,50) 180° OG ; -100 (-0,25) 180°. On peut dire la même chose dans la langue parlée, mais c’est moins pratique. » A titre de spéculation, Doivek avance que : « C’est l’utilisation des langages qui a permis [à nos ancêtres] d’inventer l’écriture ».

Autre précision : « Aujourd’hui, on crée de nouveaux langages tous les jours. Mais [...] il arrive souvent qu’on n’ait pas conscience de l’importance de cette invention. Les informaticiens des années 50 ont ainsi créé des langages, mais ils n’ont pas compris que c’était une révolution ».

Interview d’un ingénieur à la retraite, par les AL

Q : Y a-t-il des questions qu’on peut régler grâce aux maths, alors qu’on ne pourrait pas le faire sans (ou difficilement) ? Autrement dit, le langage mathématique peut-il aider de manière spécifique à saisir le réel ?

R : Les maths n’existent pas. Ce qui existe c’est le fait de savoir faire des raisonnements logiques. Pascal distinguait l’esprit de géométrie de l’esprit de finesse. L’esprit de finesse (intuition, affection, créativité...) n’est ni mathématique ni logique, mais néanmoins nécessaire. Même les « découvreurs » en maths ont commencé par rêver leur découverte (est-ce que je pourrais trouver un objet mathématique qui aurait telle ou telle propriété ?), avant de définir un objet ou une théorie stricte. Les grands précurseurs, comme Galilée, Fermat, Thalès (en gros avant la période de la révolution française) ont énoncé des théorèmes très précis en langage courant, très lourd et difficile à manipuler. La description de la chute des corps établie par Galilée a été une étape décisive dans l’utilisation du raisonnement numérique et vérifié. Elle était formulée dans un langage « qui pesait des tonnes ».

Par la suite, on a trouvé des « trucs » (représenter une grandeur par une lettre, par exemple) qui ont rendu le raisonnement beaucoup plus simple. Si on est capable d’intégrer ce symbolisme, la science devient extrêmement simple. Mais c’est ce symbolisme qui fait dire à certains qu’ils n’aiment pas les maths, ressenties comme un domaine à part.

Les suites envisagées à l’AFL

Poursuivre cette réflexion avec d’autres langages pour mieux comprendre que ce qui existe ce sont des langages, c’est-à-dire des outils qui permettent de faire des « choses » qu’on ne peut pas faire (ou beaucoup plus difficilement, plus lourdement) sans eux. L’enseignement traditionnel enseigne ces outils sans partir des choses à faire et au mieux y viennent comme application.

Ce qui n’est pas possible pour tout, par exemple apprendre à se servir des outils du langage pictural sans dessiner, sportif sans sauter à la perche, musical sans chanter ou jouer du piano, du langage oral sans échanger... Et l’école désigne même ces domaines comme des disciplines secondaires qu’on peut faire l’après-midi, s’il reste du temps ! Et les 3 langages qu’elle dit fondamentaux sont ceux qui peuvent s’enseigner sans produire réellement, donc en faisant semblant : lire, écrire, compter ! On revient au débat général d’une instruction préalable confisquée dans un lieu spécifique ou d’une société éducatrice soucieuse des apports techniques au niveau du partage des langages que la vie sociale attend de tous.

[1Gilles DOWEK : « Les langages nous permettent d’aller plus loin dans l’invention de notre humanité », Libération, 22 mars 2019