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« Quelques idées pour (ré)inventer l’école (en toute simplicité) »

Serge HERREMAN

1. Ainsi on apprendrait en agissant et en... transformant

Voici, à travers la présentation d’un projet et d’articles tirés d’un journal en circuit court, une modeste contribution à une autre appréhension de l’école et des apprentissages.

Le contexte
Il faut imaginer une école ancrée dans un quartier. Elle fonctionne en étroite relation avec le centre de loisirs. C’est comme si l’aménagement du temps de l’enfant avait pris du sens. Ainsi, les projets autour de la lecture associent les animateurs et les enseignants. Au-delà, des associations sont partie prenante d’une politique globale de lecture engageant pleinement la municipalité.

Un exemple de projet
Les enseignants et les bibliothécaires ont pensé un projet de commande sociale : il s’agit de préparer une exposition à la bibliothèque municipale. Les bibliothécaires adressent cette commande à une classe de l’école qui va devenir pilote du projet. Outre ce premier vrai travail, les enfants devront présenter quelques ouvrages sur le thème retenu.

Voici donc une classe en charge d’un projet dont elle est pleinement responsable. Ce projet est commandité par des professionnels, partenaires en attente d’une production effective avec un impact social réel. Bref, on est bien loin du thème motivant les enfants dans l’idée de leur faire acquérir des notions prédigérées par l’adulte. On est loin d’une conception uniquement transmissive des apprentissages. L’action pédagogique est ancrée dans le tissu social, qui la justifie. Le statut des enfants « bouge » à l’occasion d’un apprentissage qui prend tout son sens parce qu’il correspond à un besoin immédiat, lu statut des enseignants et des autres adultes engagés « bouge » aussi parce que le projet à réaliser n’est pas donné « clés en mains ».

La classe, ce groupe hétérogène va devoir penser, organiser, réguler le projet au fur et à mesure de son avancement, avec des contraintes dans le temps : l’exposition doit être prête à une date précise.

Penser le cadre
On doit connaître (enseignants et enfants) les contraintes de la production attendue : il y a des règles pour réaliser une exposition. On doit impérativement travailler avec les commanditaires pour connaître ces contraintes.

Penser aux tâches à effectuer dans différents domaines
Lecture. Pour choisir les livres de l’exposition et ceux qu’on présentera au public, on va devoir lire des ouvrages : ► s’adressant à différents âges (maternelle→CM2) ► de différents types et genres : fiction, documentaire ; album, roman, poème...

Écriture. On va écrire des fiches de lecture qui enrichiront celles de la BCD. On va également rédiger des affiches pour l’exposition. On écrira à la mairie pour informer de l’initiative, de la date de la présentation d’ouvrages au public. On proposera un article pour le journal ou le site municipal et sollicitera la présence d’un photographe le « jour J ».

Entraînement à l’expression orale et à la lecture à voix haute. Ce travail est justifié par la présentation en public.

Organiser
Réunir les ouvrages. Les ouvrages à lire pourront pour une part être ceux de la BCD. La bibliothèque municipale mettra par ailleurs un certain nombre de documents à disposition.

Prévoir qui associer. ► Les enfants de cycle 2 se chargent de lire les ouvrages de leur niveau et en réfèrent à la classe de cycle 3 initiatrice et responsable du projet. ► Les enfants de maternelle sont associés au projet : les enfants lecteurs leur lisent des ouvrages s’adressant à leur âge. Ils donnent leur avis et participent au choix des ouvrages retenus. ► Les animateurs des centres de loisirs sont associés à l’opération.

Réguler. Le projet est amené à être adapté en fonction de problèmes rencontrés, de nouvelles questions mises à jour, de remarques des commanditaires. La régulation est le fait des enfants et des adultes de la classe gestionnaire. Le journal en circuit court est l’un des outils de régulation du projet.

Évaluer, théoriser
Sur la menée du projet. L’évaluation passe par l’appréciation du commanditaire. Le produit est fini ou non, utile ou non. Pas d’échappatoire possible. Les difficultés rencontrées, l’adaptation nécessaire amènent à écrire une mémoire d’organisation efficace.

Sur le travail de lecture. Comment lire au mieux ouvrage de fiction / ouvrage documentaire ? Quels sont les éléments d’appréciation de la qualité des ouvrages ? Qu’en retenir pour avancer dans ses compétences de lecteur ? Ce travail peut être mené au niveau du groupe et via le journal.

Systématiser. S’entraîner à lire des documentaires de façon efficace peut être l’une des activités de systématisation. Le logiciel d’entraînement à la lecture prend ici naturellement sa place.

2. Ainsi on construirait de la citoyenneté

Le projet est un premier exemple de cette construction. Le journal du groupe en est un véritable outil.

Exemple d’un journal
La feuille est un journal en circuit court. C’est un recto-verso qui paraît chaque semaine. La feuille est l’outil de régulation d’un groupe de cycle 3. C’est aussi un support pour réfléchir et pour penser. Enfants et adultes sont invités à écrire des textes exprimant un point de vue/une opinion.

Un certain nombre d’articles répondant à ces contraintes sont retenus et réécrits par les adultes (les enfants s’essaieront aussi à l’exercice). Ils sont publiés dans le journal dont la lecture s’effectue en groupe entier et donne lieu à des réactions ► sur la réécriture ; ► sur le fond.

De semaine en semaine, le groupe avance dans sa réflexion.

Témoignages à travers les articles :
Réfléchir ensemble
Le journal est un élément vital pour notre groupe, « la Veuille » nous permet d’exprimer nos opinions. Les articles du journal apportent quelque chose à tout le monde. Grâce à la Feuille, nous enrichissons notre vocabulaire. En lisant, nous apprenons à connaître certains mots difficiles. Chaque vendredi, nous lançons des débats sur des liâmes différents. Avec « La Feuille », nous apprenons à vivre ensemble. Raphaël (à peine réécrit par S.)

Vivre ensemble
Depuis plusieurs numéros, sous le titre Vivre ensemble, nous avons parlé de l’attitude de ceux qui se moquent des handicapés. Mais aucun article n’a abordé le problème du racisme. J’ai pourtant l’impression qu’il s’agit du même genre de comportement. Je voudrais que nous en discutions. Basile (récrit par C.)

Racisme ?
Certains ni ’ont surnommé « Marfoud ». Ils se moquent de moi mais aussi des noms arabes. Il y en a un qui a commencé et deux autres lui ont emboîté le pas illico. Pourtant d’habitude, ils sont plutôt « sympas ». Est-ce qu’ils réalisent que le racisme commence aussi comme cela ? Nessim (réécrit par C)

3. Ainsi l’écrit aiderait à penser !

L’école ne doit-elle pas passer par un changement de point de vue sur le statut des « apprenants » et celui des apprentissages ? Cela implique, en corollaire, de repenser le statut de l’écrit. L’écrit deviendrait aussi pour les enfants... un outil pour penser.

Exemples, toujours extraits de la Feuille : Différents thèmes sont abordés, de façon de plus en plus libre au fur et à mesure que l’année avance, sans plus entrer dans « ce qu’il convient de dire / d’écrire » pour se conformer au cadre scolaire.

Éditorial
Bruno l’affirme pour vous tous : « J’aime « La Feuille », même quand mes articles n’y figurent pas. » « La Feuille » est devenue l’un des piliers de notre groupe pour vous aider à écrire, à penser. Vos articles doivent continuer de permettre à chacun de progresser dans sa réflexion. Que vos écrits interrogent le monde qui vous entoure, posent de vraies questions à tons. Des questions intéressantes, cela peut être de grands problèmes d’actualité mais aussi : « comment mieux gérer la BCD », des échanges sur « comment on apprend », j’en oublie... A vos plumes, écrivez et réécrivez ! Serge

Un exemple de réflexion autour de la télévision
Réécriture
Je ne suis pas d’accord avec la façon dont mon texte Solution drastique a été réécrit. En effet, je trouve que M.H. ne l’a pas suffisamment remanié, la réécriture n’était pas assez précise, aussi comme on n’est jamais aussi bien servi que par soi-même, je reviens sur le sujet. Au cours de nos débats, nous en étions armés à la conclusion qu’il fallait regarder la télévision « intelligemment », de façon critique, en effectuant des choix. Mais ce n ’est peut-être pas possible ou alors c’est beaucoup de temps dépensé pour trop peu de profit et je pense qu ’il serait plus simple de totalement s’en passer. Je vous invite à réfléchir à cette proposition... Alors ? Chiche ? Bruno (récrit par G)

Information ou horreur ?
A la télé, les journalistes préfèrent-ils nous montrer des images horribles que de nous présenter une vraie information ? Nous en avons parlé vendredi. J’aimerais en rediscuter pour me faire vraiment une idée. Léa

La télé peut aussi faire réfléchir
J’ai vu l’émission « Envoyé spécial » qui parlait de ¡a pollution. J’ai ainsi appris que, dans certains pays, un enfant sur cinq meurt avant d’atteindre l’âge d’un an, à cause de la pollution de l’air. Beaucoup de grossesses ne sont pas menées à terme ou le bébé est mort-né. Tout cela à cause des fumées toxiques, est-ce qu’il n’y a pas de quoi réfléchir ? Nassur (récrit par C.)

Un exemple de réflexion autour de l’écriture elle-même
Faire c’est apprendre
Après la lecture du dernier numéro de « La Feuille », nous avons discuté de mon article. C’était très intéressant, je me suis rendu compte que la discussion permettait de faire évoluer les idées. Finalement, à force de produire des textes, je trouve que je commence à traiter des sujets intéressants ! Fatima (récrit par C.)

« Ecrire est un métier [...] qui s’apprend en écrivant. » S. de Beauvoir (citée par Q)

Réécrire
Nous aussi, les enfants, nous amis essayé de réécrire des textes. Nous avons « planché » sur les textes de Cyril et de Mireille. Nous avons ainsi pu nous rendre compte que le travail n’était pas évident. On ne comprend pas toujours ce que veulent dire les auteurs en lisant leurs articles. Je comprends que les adultes puissent avoir des difficultés pour réécrire en donnant le point de vue des enfants et que parfois ils se trompent ! J’espère que ce travail nous aidera à mieux écrire nos idées ! Laetitia (récrit par S.)

Pour conclure

Nul doute qu’on apprend en agissant et en... transformant, que le projet lorsqu’il a une implication sociale construit de la citoyenneté. Et s’il est acquis que l’écrit aide à penser, nul doute que cet outil est à la portée des enfants pour peu qu’on leur permette de l’employer ! Il apparaît ainsi que c’est une autre approche de l’école et des apprentissages, à travers un autre statut donné aux enfants et corollairement aux adultes qui les accompagnent qui soit nécessaire et incontournable pour que « l’école de la République tienne ses promesses »... Puisse cette modeste contribution figurer parmi celles qui influeraient pour qu’un gouvernement à venir n’avalise pas l’élitisme et, au bout du compte, l’iniquité. Laissons-nous rêver...

« Quelques idées pour (ré)inventer l’école (en toute simplicité) »